Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/617

Cette page a été validée par deux contributeurs.
613
DE L’ART RELIGIEUX EN FRANCE.

l’éternelle règle de l’architectonique chrétienne, telle que toutes nos cathédrales nous la révèlent, en remplaçant par un lieu d’habillement et de comptabilité ce sanctuaire suprême, ce dernier refuge de la prière, que la tendre piété de nos pères avait toujours réservé, au point culminant de l’église, au sommet de la croix, pour cette vierge-mère, dont Notre-Dame est un des plus beaux temples ?

Enfin, quand finira-t-on de voir s’élever, avec l’approbation du clergé ou par ses soins directs, des édifices comme Notre-Dame-de-Lorette, l’église du Gros-Caillou, la chapelle de la rue de Sèvres, où repose le corps de saint Vincent de Paule, indignes masures dont les formes lourdes et étriquées à la fois ne sont conformes qu’au genre classique et païen, contemporain de la réforme ; tandis que, par la contradiction la plus bizarre, les protestans construisent dans Paris une assez jolie chapelle gothique[1] sur le patron inventé et consacré par le catholicisme.

En vérité, quand on rapproche ce dernier fait de la quantité d’églises gothiques que l’on voit bâtir chaque jour en Angleterre, et du soin religieux avec lequel les protestans anglais et allemands conservent le caractère général et jusqu’aux moindres ornemens des belles cathédrales catholiques que la réforme a fait tomber entre leurs mains, on est tenté de croire que le protestantisme a usurpé le monopole de l’art chrétien. Heureusement il n’en est pas ainsi ; les nouvelles chapelles que les catholiques anglais fondent en si grand nombre, sont fidèlement copiées sur les anciennes églises qu’on leur a prises. Les jésuites viennent d’achever, dans le comté de Stafford, un vaste collége avec une belle église, l’un et l’autre entièrement gothiques, et dont le plan, aussi bien que les détails, rappellent les plus magnifiques abbayes du moyen-âge. Au mois d’octobre de cette année, dans une seule semaine et dans la même province, on a consacré trois belles églises et une abbaye de trappistes du meilleur style gothique[2]. Les catholiques d’Écosse et d’Irlande suivent absolument le même système. Enfin le souverain, si zélé, si généreux, et surtout si catholique, de la Bavière a fait restaurer, avec autant de soin que de science, les grandes cathédrales de Ratisbonne et de Bamberg ; pour celle-ci, le scrupule a été poussé si loin, que l’on a relégué, dans un cloître voisin, jusqu’aux mausolées modernes d’architecture classique qui déparaient ce magnifique édifice romain. Dans ses constructions nouvelles, ce souverain a embrassé tous les genres d’architecture chrétienne, depuis la basilique des premiers siècles jusqu’au gothique parfait du xvie, et il a su réserver les formes classiques pour le Valhalla, espèce de Panthéon historique, qui n’a rien de commun avec la religion. C’est qu’en effet, puisque l’architecture moderne en est réduite à copier, il

  1. Rue d’Aguesseau-Saint-Honoré.
  2. Ces trois églises sont celles de la Grace-Dieu, château de M. Phillips, qui l’a fait construire, de Notre-Dame-du-Mont-Saint-Bernard, et de Withwich. Voyez l’Ami de la Religion du 7 novembre 1837.