Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/606

Cette page a été validée par deux contributeurs.
602
REVUE DES DEUX MONDES.

poètes. Jamais elle n’a imaginé de faire de son Jupiter une victime, de son Bacchus un dieu mélancolique, de sa Vénus une vierge pudique et pieuse. Il était réservé aux chrétiens, aux catholiques, de trouver le secret de la profanation dans l’inconséquence, d’emprunter aux doctrines pulvérisées et flétries à jamais par le christianisme les types de leurs constructions et de leurs images religieuses, d’édifier l’église du Crucifié sur le plan du temple de Thésée ou du Panthéon, de métamorphoser Dieu le père en Jupiter, la Vierge en Junon ou en Vénus habillée, les martyrs en gladiateurs, les saintes en nymphes, et les anges en amours !

Est-ce à dire qu’il faille asservir toutes les œuvres d’art religieux à un joug uniforme ? qu’il faille passer le niveau impitoyable d’un type unique, comme celui de Bysance, sur tous les fruits de l’imagination et de l’inspiration consacrée par la foi ? Il n’en est rien : l’art vraiment religieux ne repousse que le contresens, mais il le repousse énergiquement ; il a horreur de l’envahissement du païen dans le chrétien, de la matière et de la chair dans le royaume de la pureté et de l’esprit. Il veut la liberté, mais la liberté avec l’ordre ; il veut la variété, mais la variété dans l’unité, loi éternelle de toute grandeur et de toute beauté. Mais au lieu de longues explications théoriques, citons des noms et des faits ; c’est le plus sûr moyen de montrer combien le génie catholique sait être fécond et varié, sans jamais mentir aux conditions de sainteté et de pureté qui le constituent. Dira-t-on qu’il y a uniformité entre une cathédrale romane et une cathédrale ogivale, entre Saint-Sernin de Toulouse et Saint-Ouen de Rouen, entre la cathédrale de Mayence et celle de Milan, et pour ne pas sortir de Paris, entre Saint-Germain-des-Prés et l’intérieur de Saint-Eustache ? Non certes, et cependant tous ces édifices répondent également à l’idée légitime et naturelle d’une église chrétienne, tandis qu’il y a répulsion complète et profonde entre cette idée et des anachronismes comme la Madeleine et Notre-Dame-de-Lorette. Est-ce que les bas-reliefs d’André de Pise au baptistère de Florence, ceux des tombeaux de saint Augustin à Pavie et de saint Pierre martyr à Milan, le Jugement dernier au grand portail de Notre-Dame, ou les saintes exquises de la Frauenkirche à Nuremberg, sont taillés sur le même modèle ? Non, certes, ces pierres toutes vivantes par la foi et le génie qui les anime, ne se ressemblent ni par la disposition des sujets, ni par l’expression, ni par l’agencement, mais uniquement par ce sentiment de pudeur, de grace et de dignité que le dogme de la réhabilitation de l’homme donne à toutes ses idées ; tandis que la fameuse vierge de Brydone à Chartres, et le fameux tombeau du maréchal de Saxe à Strasbourg ne sauraient commémorer que l’emphase et la prétention d’un siècle corrompu. Qu’y a-t-il de commun entre la madone vraiment divine de Van-Eyck à Gand, et celles de Francia et du Pérugin ; entre les délicieuses miniatures de Hemling sur le reliquaire de Sainte-Ursule à Bruges, et celles de Fra Angelico sur les reliquaires de Santa-Maria-Novella ; entre les graves et grandioses fres-