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Voilà donc jusqu’où est tombé cet art divin, enfanté par le catholicisme et porté par lui au plus haut point de splendeur qu’aucun art ait jamais atteint ! cet art créé et propagé dans le monde chrétien par tant de grands papes et de saints évêques ; cet art dont les Agricole, les Avit, les Martin, les Nicaise, et tant d’autres pontifes français, avaient légué à leurs successeurs le dépôt sacré en même temps que le souvenir de leur sainteté et de leur noble grandeur ; cet art si populaire, si aimé, si généreux, qui avait mis les talens les plus purs et les plus dévoués au service de l’intelligence des pauvres et des humbles, qui avait peuplé jusqu’aux moindres villages de trésors inimitables, et porté jusqu’au fond des déserts et des forêts inhabitables le magnifique témoignage de la fécondité et de la beauté du catholicisme : voilà donc ce qu’il est devenu avec la permission du clergé moderne ! Ces peintres vraiment chrétiens des vieilles écoles d’Italie et d’Allemagne, ces hommes qui puisaient toutes leurs inspirations dans le ciel ou dans des émotions épurées par la piété la plus sincère, ces humbles génies dont chaque coup de pinceau était, on peut le dire sans crainte, un acte de foi, d’espérance et d’amour, ces admirables auxiliaires de la ferveur chrétienne, ces prédicateurs puissans de l’amour des choses d’en haut, c’est donc en vain qu’ils ont travaillé, puisque, relégués dans les galeries des princes, où ils sont confondus le plus souvent avec tout ce que l’art a produit de plus impur et de plus dégradé, ils voient la place qu’ils ambitionnaient, sur les autels où leurs frères viennent prier, usurpée par d’effrontés parodistes, sans qu’aucune main sacerdotale vienne jamais purifier le sanctuaire de ces souillures. On l’a dit avec une cruelle vérité : il y a beaucoup d’églises qui n’ont pas été atteintes par les mutilations iconoclastes des huguenots ; il y en a beaucoup qui ont survécu à la rage des vandales de la terreur, mais il n’y en a pas une seule en France, quelle que soit sa majesté ou sa petitesse, pas une seule qui ait échappé aux profanations que commettent, depuis trois siècles, des architectes et des décorateurs soldés, encouragés ou du moins tolérés par le clergé. Et cependant, dans ces églises où il n’y a pas une pierre qui ne porte l’empreinte du paganisme régénéré, pas un ornement qui ne témoigne du triomphe de la rocaille du xviiie siècle, ou du classicisme païen du xviie on entend souvent des prédicateurs monter en chaire et vanter les services rendus par la religion à l’art, sans s’apercevoir même que la religion a été honteusement expulsée de l’art jusque dans le temple où ils parlent. On voit chaque jour des apologistes de la religion, dissertant sur le même thème avec l’ignorance la plus inexcusable, ou la plus plaisante confusion, oublier les noms des artistes qui ont le plus honoré la religion, ou bien ne les citer que pour les confondre avec ceux qui ne se

    Louis XIV. Qu’on n’accuse pas ces observations de minuties ; dans le symbolisme chrétien, dont le vêtement sacerdotal est une partie si essentielle, il n’y a rien d’insignifiant. Les moindres détails étaient liés aux œuvres les plus grandioses sous le règne de la beauté et de la vérité, et malheureusement ils le sont encore sous le règne du laid et du profane.