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ERNEST MALTRAVERS.

constamment de précision et de simplicité, les meilleures phrases ne sont guère que des phrases de conversation. L’auteur, au lieu de choisir pour sa pensée une expression déterminée, à l’exclusion des synonymes qui peuvent se présenter ou des comparaisons voisines qui s’offrent à la mémoire, ébauche plusieurs expressions et donne à choisir au lecteur sans se soucier d’accepter la responsabilité d’une préférence irrévocable. Un pareil procédé indique chez l’écrivain la connaissance familière du vocabulaire ; mais, à parler franchement, c’est la négation même du style. C’est un système d’à peu près qui éblouit quelque temps et qui finit par impatienter.

Je regrette que M. Bulwer se soit cru obligé de semer dans la conversation de ses personnages plusieurs phrases françaises qui sont quelquefois vulgaires et qui ne sont pas toujours correctes. Les gens bien élevés qui s’abordent chez nous ne disent pas : Comment ça va ? Et s’ils le disaient, ils ne l’écriraient pas. Personne en France n’adresse à son interlocuteur des belles paroles. Quand une femme fait une promenade à cheval en compagnie d’un seul cavalier, elle ne dit pas qu’elle risque le cavalier seul, car ce terme de contredanse serait en pareil cas sans application. Certes, il eût mieux valu ne pas clouer aux différens chapitres d’Ernest Maltravers des épigraphes tirées d’Eschyle, d’Euripide, de Simonide, et transcrire correctement les paroles françaises et italiennes prononcées par les personnages. L’érudition n’est pas nécessaire, mais la modestie est toujours de bon goût.


Gustave Planche.