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un sentiment plus fort que l’amour de la paix intérieure dont elle a joui jusque-là. Elle se refuse à celui qu’elle aime en lui avouant qu’elle est heureuse et fière de l’amour qu’elle inspire et qu’elle partage. Mais elle ne veut pas garder près d’elle un homme dont l’intelligence et le caractère sont appelés aux plus hautes destinées, et qui a besoin de sa liberté pour jouer le rôle qui lui est dévolu. En même temps qu’elle avoue son amour, elle cache généreusement ses regrets et force à partir l’homme qu’elle serait heureuse de garder. Deux ans se passent ; Valérie retrouve celui qu’elle a banni et qu’elle espérait oublier. Cette nouvelle épreuve est au-dessus de ses forces, et Valérie n’aurait plus le courage de résister, si elle ne voyait clairement, dans les regards et les paroles de l’homme qu’elle aime, que les rôles sont désormais intervertis, qu’elle n’est plus aimée, et qu’au lieu de se défendre, elle serait forcée de réveiller une affection oubliée. Elle ne s’acharne pas à cette tâche humiliante, elle demeure fidèle à sa dignité, et cache son désespoir sous les dehors d’une impartiale amitié.

Florence a le malheur de réunir et de résumer en elle-même tous les genres de supériorité. Naissance, richesse, beauté, grace, majesté, intelligence, savoir, rien ne manque à l’idéale perfection de Florence Lascelles. Dans la vie réelle, une femme ainsi douée se trouve au-dessus de tous les rôles que la société veut lui confier ; dans le domaine du roman, elle provoque naturellement un sourire d’incrédulité. M. Bulwer a voulu et a su tirer parti de sa prodigalité, car Florence Lascelles expie, par de cruelles souffrances, tous les avantages qu’il lui attribue. Par la profondeur et la variété de ses connaissances, par l’étendue et l’élévation de ses pensées, elle est condamnée à dédaigner et souvent à maudire tous les personnages qui l’entourent et qui se glorifient dans leur nullité. Bientôt, lasse de la solitude, elle se laisse aller aux plus étranges caprices. Pour donner le change à son cœur désert, elle engage une correspondance avec un homme qu’elle n’a jamais vu, mais dont elle a lu et relu les poèmes. Pleine de confiance dans la sincérité des pensées livrées au public, elle croit que l’auteur lui répond de l’homme, et converse hardiment avec lui comme avec un ami éprouvé. Elle lui prodigue les conseils et les encouragemens, tantôt avec la familiarité d’une sœur, tantôt avec une bienveillance maternelle, quelquefois même avec l’enthousiasme et la dévotion qui ne conviennent qu’à la prière. Bientôt, comme il était facile de le prévoir, la tête embrase le cœur, et Florence veut voir et entendre l’homme à qui elle écrit depuis plusieurs mois ; mais