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ERNEST MALTRAVERS.

sion qu’elle éprouve pour un étranger dont la vie est menacée opère dans son intelligence et dans son caractère une subite révolution. Après avoir sauvé son hôte, en l’avertissant du danger, elle ne tarde pas à prendre la fuite et à suivre les traces de l’homme qui lui doit la vie, car elle ne peut plus reposer sous le même toit que son père qu’elle méprise. Jusque-là le caractère d’Alice appartient au roman vulgaire. Mais le développement simultané de l’amour et du sentiment religieux offre une peinture pleine de grace et de naïveté, et M. Bulwer a trouvé, pour l’analyse et l’expression de ces deux sentimens, une simplicité à laquelle ses précédens ouvrages ne nous avaient pas habitué. Plus tard, quand le bonheur a disparu, quand l’abandon et la misère ont pris la place des intimes épanchemens et des caresses enivrantes, le caractère d’Alice se montre sous un nouveau jour, mais ne cesse pas d’être logique. Au milieu des angoisses les plus poignantes, elle conserve l’espérance de revoir l’homme qu’elle a si tendrement aimé, et lorsque enfin cette espérance s’évanouit, elle se résigne et ne maudit pas l’égoïsme et l’inconstance de son amant ; elle lui pardonne par reconnaissance pour le passé.

Valérie de Saint-Ventadour offre l’alliance heureuse de la coquetterie et de la loyauté. Je suis fâché que M. Bulwer ait donné à la femme de l’ambassadeur de France près la cour de Naples le nom étrange de Saint-Ventadour ; mais comme l’auteur semble destiné à égratigner toutes les langues qui ne sont pas la sienne, je ne veux pas insister sur cette faute vénielle. Valérie est coquette dans la meilleure acception du mot. Elle est fière de sa beauté, de son intelligence, de sa grâce ; elle aime à régner, à gouverner les hommes qui l’entourent par l’éclat de son regard, par la finesse, par l’élégance de sa parole, par ses railleries bienveillantes, sans jamais rien promettre, sans jamais s’engager. Elle joue délibérément ce jeu dangereux, qui pourrait à bon droit passer pour de l’égoïsme, si elle le continuait avec tous les hommes sans faire acception de la sincérité des sentimens qu’elle éveille. Mais elle sait lever le masque et montrer l’affection sous l’intelligence, dès qu’il y a péril à persévérer dans l’indifférence. Mariée à un homme qu’elle n’a jamais aimé, elle a pris de bonne heure son parti, et s’est résolue courageusement à ne pas tenter l’épreuve des passions. Elle est arrivée à trente ans sans manquer à la promesse qu’elle s’est faite. Elle se croit à l’abri du danger, mais une parole sincère prononcée d’une voix émue suffit pour ébranler cette sagesse si sûre d’elle-même. Valérie comprend qu’elle va succomber, si elle n’appelle à son aide