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pensée que la sienne le soin de sa vengeance, il cesse de représenter l’envie ; il entre dans la classe innombrable des sots, et n’a plus le droit d’être au premier plan d’un tableau. Il est évident que M. Bulwer, en créant le personnage de Castruccio, a violé une des lois les plus impérieuses de la poésie, je veux dire la loi d’identité : il a voulu personnifier l’envie, et quand le caractère qu’il avait prêté à Castruccio a compliqué les difficultés du récit, il l’a transformé, il l’a dénaturé avec une parfaite insouciance, comme s’il lui eût été donné d’effacer les premières pages de son livre. C’est là, si je ne m’abuse, une faute très grave, et qui diminue singulièrement l’intérêt que Castruccio, autrement conçu, aurait pu nous inspirer. Quoique l’envie, en effet, soit un sentiment odieux, l’auteur aurait sans doute réussi à exciter, sinon notre sympathie, du moins notre compassion en faveur de Castruccio, s’il fût demeuré fidèle à son point de départ. Pour atteindre ce but, il lui suffisait d’analyser et de peindre les souffrances de la médiocrité, et de nous montrer comment l’orgueil, en se dépravant, conduit à la lâcheté. Ainsi compris, le personnage de Castruccio ne serait sans doute pas devenu digne d’éloge ; mais il aurait perdu une partie de sa bassesse. Agissant en son nom, n’écoutant que la seule inspiration de son orgueil humilié, il nous aurait paru plus fidèle à l’esprit de son rôle, et par conséquent plus poétique. Tel qu’il est, il représente la médiocrité vulgaire, mais il ne personnifie pas l’envie. Je vois en lui l’esclave de Lumley, c’est-à-dire un personnage très insignifiant.

Les trois femmes destinées, dans la pensée de M. Bulwer, à compléter l’éducation morale d’Ernest Maltravers, sont plus heureusement inventées que les trois personnages dont nous venons de parler. À quoi faut-il attribuer cette différence ? L’auteur a-t-il dessiné ces trois femmes d’après nature, et n’avait-il pas les mêmes ressources lorsqu’il a tracé les portraits d’Ernest Maltravers, de Lumley Ferrers et de Castruccio Cæsarini ? Les données nous manquent pour résoudre cette question. Ce qui est vrai, ce que nous proclamons avec plaisir, c’est le charme des trois figures qui se nomment : Alice, Valérie et Florence. Ces trois types sont parfaitement dissemblables, mais chaque type pris en lui-même mérite l’attention et la sympathie du lecteur. Alice est une jeune fille de seize ans, plus ignorante qu’une Indienne qui n’aurait jamais quitté sa tribu, car elle ne possède pas la notion de Dieu. Seule avec son père, qui vit de brigandage et qui ne lui a jamais inspiré d’autre sentiment que la crainte, comment son ame aurait-elle conçu l’idée de la Providence ? La compas-