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ERNEST MALTRAVERS.

pose d’agiter les questions les plus graves et les plus difficiles, depuis les lois de la famille jusqu’aux lois qui régissent le développement politique de la Grande-Bretagne. À vrai dire, nous pouvons craindre que le cadre choisi par l’auteur ne soit bien étroit pour une pareille discussion ; mais du moins nous n’aurons pas le droit d’accuser la sévérité des pensées que nous allons parcourir. Nous ne chercherons pas le plaisir à l’exclusion de l’enseignement ; M. Bulwer nous traite en hommes faits et nous admet à partager les fruits de son expérience. Cette déclaration préalable pourra paraître bien ambitieuse ; cependant il ne faut pas oublier que M. Bulwer est depuis dix ans traité par les salons de Londres avec une indulgence toute maternelle, et ce qui nous choquerait justement chez un homme habitué aux formes impartiales de la discussion, mérite à peine d’être blâmé chez un enfant gâté. Acceptons donc franchement l’espérance de l’auteur, et cherchons dans Ernest Maltravers la vraie philosophie de la vie.

Il y a dans Ernest Maltravers trois hommes bien distincts, l’amant, le poète et l’homme d’état. Le héros se présente à nous successivement dans chacun de ces trois rôles, et fournit ainsi à M. Bulwer l’occasion de formuler sa philosophie sur le bonheur de l’amour, et sur la condition sociale du poète et de l’homme d’état. Peut-être eût-il mieux valu n’attribuer au héros qu’un rôle unique et nettement déterminé, et poursuivre ce rôle dans tous ses développemens. Il est probable que M. Bulwer eût adopté ce dernier parti, s’il n’eût voulu faire qu’un roman ; mais, résolu à nous enseigner la vraie philosophie de la vie, il a dû naturellement multiplier et varier les épreuves du principal personnage, afin de ne laisser aucun problème sans solution. Il a volontairement renoncé à l’unité poétique de son œuvre pour traiter ex professo toutes les questions qui se rattachent à la vie du cœur, à la vie littéraire, à la vie politique. Nous aurions mauvaise grace à le chicaner sur le parti auquel il s’est arrêté, puisque dès la première page il nous a franchement annoncé ses prétentions ; mais il nous est permis de lui demander pourquoi il a cru devoir imposer à Ernest Maltravers les souffrances d’un triple amour. Il nous semble qu’une seule passion, sérieusement étudiée, suffisait au dessein du livre, et que la philosophie de l’amour pouvait se formuler sans le secours de trois femmes diversement aimées. Cependant ce défaut passerait peut-être inaperçu, ou même disparaîtrait complètement si les trois amours que l’auteur prête à son héros engageaient entre eux une lutte sérieuse. Il n’en est rien ; ces trois amours se succèdent et