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LA DERNIÈRE ALDINI.

penser au mariage avec moi, encore plus peut-être que de s’abandonner à la passion ; et il l’avait tellement effrayée en la menaçant de la repousser du sein de l’église, que son esprit doux et craintif, partagé entre le désir de me rendre heureux et la peur de se damner, était en proie à une véritable agonie.

Mme Aldini avait eu jusque-là une dévotion si facile, si tolérante, si véritablement italienne, que je ne fus pas peu surpris de la voir tourner au sérieux, précisément au milieu d’une de ces crises de la passion qui semblent le plus exclure de pareilles recrudescences. Je fis de grands efforts sur ma pauvre tête inexpérimentée pour comprendre ce phénomène, et j’en vins à bout. Bianca m’aimait peut-être plus qu’elle n’avait aimé le comte et le prince ; mais elle n’avait pas l’ame assez forte ni l’esprit assez éclairé pour s’élever au-dessus de l’opinion. Elle se plaignait de la morgue des autres ; mais elle donnait à cette morgue une valeur réelle, par la peur qu’elle en avait. En un mot, elle était soumise plus que personne au préjugé qu’un instant elle avait voulu braver. Elle avait espéré trouver, dans l’appui de l’église, par le sacrement et un redoublement de ferveur catholique, la force qu’elle ne trouvait pas en elle-même, et dont pourtant elle n’avait pas eu besoin avec ses précédens amans, parce qu’ils étaient patriciens et que le monde était pour eux. Mais maintenant l’église la menaçait, le monde allait la maudire ; combattre à la fois et le monde et l’église était une tâche au-dessus de son énergie.

Et puis encore, peut-être son amour avait-il diminué au moment où j’en étais devenu digne ; peut-être, au lieu d’apprécier la grandeur d’ame qui m’avait fait redescendre volontairement du salon à l’office, elle avait cru voir, dans cette conduite courageuse, le manque d’élévation et le goût inné de la servitude. Elle croyait aussi que les menaces et les sarcasmes de ses autres valets m’avaient intimidé. Elle s’étonnait de ne me point trouver ambitieux, et cette absence d’ambition lui semblait la marque d’un esprit inerte ou craintif ; elle ne m’avoua point toutes ces choses, mais, dès que je fus sur la voie, je les devinai. Je n’en eus point de dépit. Comment pouvait-elle comprendre mon noble orgueil et ma chatouilleuse probité, elle qui avait accepté et partagé l’amour d’un Aldini et d’un Lanfranchi ?

Sans doute, elle ne me trouvait plus beau depuis que je ne voulais plus porter ni dentelle ni rubans. Mes mains, endurcies à son service, ne lui semblaient plus dignes de serrer la sienne. Elle m’avait aimé barcarole, dans l’idée et dans l’espoir de faire de moi un agréable sigisbée ; mais du moment que je voulais rétablir entre elle