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çait au milieu de l’écume. Je fis force de rames, mais en vain. Le reflux mit à sec une plaine immense, et la barque vint échouer doucement sur un lit de verdure et de coquillages. La nuit s’étendait sur le ciel et sur les eaux ; les oiseaux de mer s’abattaient par milliers autour de nous en remplissant l’air de leurs cris plaintifs. J’appelai long-temps, ma voix se perdit dans l’espace ; aucune barque de pêcheur ne se trouvait amarrée autour de la palude, aucune embarcation ne s’approchait de nos rives. Il fallait se résigner à attendre du secours du hasard, ou de la marée montante du lendemain ; cette dernière alternative m’inquiétait beaucoup, je craignais pour ma maîtresse la fraîcheur de la nuit, et surtout les vapeurs malsaines que les paludes exhalent au lever du jour ; j’essayai en vain de tirer la gondole vers une flaque d’eau. Outre que cela n’eût servi qu’à nous faire gagner quelques pas, il eût fallu plus de six personnes pour soulever la barque engravée. Alors je résolus de traverser le marécage en m’enfonçant dans la vase jusqu’aux genoux, de gagner les eaux courantes et de les franchir à la nage pour aller chercher du secours. C’était une entreprise insensée, car je ne connaissais pas la palude, et là, où les pêcheurs se dirigent habilement pour recueillir des fruits de mer, je me serais perdu dans les fondrières et dans les sables mouvans, au bout de quelques pas. Quand la signora vit que je résistais à sa défense et que j’allais m’aventurer, elle se leva avec vivacité, et trouvant la force de se tenir debout un instant, elle m’entoura de ses bras, et retomba en m’attirant presque sur son cœur. Alors j’oubliai tout ce qui m’inquiétait, et je m’écriai avec ivresse : Oui ! oui ! restons ici, n’en sortons jamais ; mourons-y de bonheur et d’amour, et que l’Adriatique ne s’éveille pas demain pour nous en tirer !

Dans le premier moment de trouble, elle faillit s’abandonner à mes transports ; mais retrouvant bientôt la force dont elle s’était armée : Eh bien ! oui, me dit-elle en me donnant un baiser sur le front ; eh bien ! oui, je t’aime, et il y a déjà bien long-temps. C’est parce que je t’aimais que j’ai refusé d’épouser Lanfranchi, ne pouvant me résoudre à mettre un obstacle éternel entre toi et moi. C’est parce que je t’aimais que j’ai souffert l’amour de Montalegri, craignant de succomber à ma passion pour toi et voulant la combattre ; c’est parce que je t’aime que je l’ai éloigné, ne pouvant plus supporter cet amour que je ne partageais pas ; c’est parce que je t’aime que je ne veux pas encore m’abandonner à ce que j’éprouve aujourd’hui, car je veux te donner des preuves d’amour véritable, et je dois à ta