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LA DERNIÈRE ALDINI.

me punir de m’être tant fait prier, de paraître insensible à mon premier essai.

Je compris la leçon, et, quelques jours après, ayant été sommé par elle de chanter durant sa promenade, je m’en acquittai de bonne grace. Elle était seule, étendue sur les coussins de la gondole, et paraissait livrée à une mélancolie qui ne lui était pas habituelle. Elle ne m’adressa pas la parole durant toute la promenade ; mais en rentrant, lorsque je lui offris mon bras pour remonter le perron du palais, elle me dit ce peu de mots, qui me laissa une émotion singulière : « Nello, tu m’as fait beaucoup de bien. Je te remercie. »

Les jours suivans, je lui offris moi-même de chanter. Elle parut accepter avec reconnaissance. La chaleur était accablante et les théâtres déserts ; la signora se disait malade, mais ce qui me frappa le plus, c’est que le prince, ordinairement si assidu à l’accompagner, ne venait plus avec elle qu’un soir sur deux, sur trois et même sur quatre. Je pensai que lui aussi commençait à être infidèle, et je m’en affligeai pour ma pauvre maîtresse. Je ne concevais pas son obstination à repousser le mariage : il ne me paraissait pas juste que Montalegri, si doux et si bon en apparence, fût victime des torts de feu Torquato Aldini. D’un autre côté, je ne concevais pas davantage qu’une femme si aimable et si belle n’eût pour amans que de lâches spéculateurs plus avides de sa fortune qu’attachés à sa personne, et dégoûtés de l’une aussitôt qu’ils désespéraient d’obtenir l’autre.

Ces idées m’occupèrent tellement pendant quelques jours, que, malgré mon respect pour ma maîtresse, je ne pus m’empêcher de faire part de mes commentaires à Mandola. — Détrompe-toi, me répondit-il ; cette fois, c’est le contraire de ce qui s’est passé avec Lanfranchi. C’est la signora qui se dégoûte du prince et qui trouve chaque soir un nouveau prétexte pour l’empêcher de la suivre. Quelle en est la raison ? cela est impossible à deviner, puisque nous qui la voyons, nous savons qu’elle est seule, et qu’elle n’a aucun rendez-vous. Peut-être qu’elle tourne tout-à-fait à la dévotion et qu’elle veut se détacher du monde.

Le soir même, j’essayai de chanter à la signora un cantique de la Vierge ; mais elle m’interrompit brusquement en me disant qu’elle n’avait pas envie de dormir et me demanda les amours d’Armide et de Renaud. — Il s’est trompé, dit Mandola qui ne manquait pas de finesse, en feignant de m’excuser. Je changeai de mode et je fus écouté avec attention.

Je remarquai bientôt qu’à force de chanter en plein air, au balan-