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REVUE. — CHRONIQUE.

La province anglaise du Bas-Canada est livrée, depuis quelques années, à une agitation, qui paraît de loin assez menaçante, mais qui n’est pas dans la réalité aussi grave qu’on le suppose. Il n’y a pas de grief sérieux au fond de ce mécontentement, et l’administration anglaise ne s’est montrée ni intolérante, ni oppressive envers la population canadienne d’origine française. La prospérité du Canada, sous l’empire de cette administration, a pris un essor immense, et ce vaste pays, soumis au régime colonial, a vu sa population s’accroître dans la même proportion que celle des États-Unis. Les Anglais ont laissé aux habitans français du Canada leur législation civile, qui est encore aujourd’hui l’ancienne coutume de Paris, le régime féodal, toutes les institutions sociales et religieuses que les colons avaient transportées sur les bords du Saint-Laurent, de sorte qu’on retrouve au-delà de l’Atlantique une fidèle et complète image de la France de Louis XV. Cependant la population d’origine française, qui domine dans le Bas-Canada, semble prête à se révolter contre sa nouvelle métropole, et le gouverneur s’est vu obligé de dissoudre déjà plusieurs fois la chambre d’assemblée, ou conseil électif de la province, qui, de son côté, refuse les subsides. La chambre d’assemblée, française presque tout entière, ainsi que son président, M. Papineau, demande un changement considérable dans les institutions politiques du Canada. Elle veut que les deux chambres soient électives, pour que le gouvernement n’ait aucun moyen de neutraliser par la composition du conseil provincial, qui lui appartient, la majorité exclusivement canadienne de l’autre assemblée ; et cette prétention est chaudement soutenue en Angleterre par les feuilles radicales et plusieurs orateurs du même parti dans le sein de la chambre des communes, notamment M. Hume et M. Roebuck. Mais M. Roebuck, avocat en titre des Canadiens, a échoué dans les dernières élections, et l’appui de son éloquence leur manquera dans la prochaine session du parlement, où les affaires du Canada seront certainement discutées.

Nous ne croyons pas que le mouvement canadien ait sa source dans un besoin réel et profond d’indépendance. C’est plutôt une querelle d’amour-propre national, quoique l’Angleterre ait pris à tâche de le ménager, et que l’administration de lord Glenelg, secrétaire d’état des colonies, soit très libérale. Les États-Unis se montrent fort indifférens à la petite lutte qui s’est établie dans le Bas-Canada entre la population et la métropole. Le gouvernement fédéral n’a pas encore sérieusement envisagé les conséquences éloignées qu’elle pourrait avoir, si elle venait à prendre un caractère plus grave, et la confédération y trouverait certainement une source d’embarras intérieurs et extérieurs qu’elle doit chercher à éloigner. Au reste, la question demeurera en suspens, jusqu’à ce que la chambre des lords ait adopté les résolutions votées dans la dernière session par celle des communes, pour assurer le service administratif de la province, malgré le refus des subsides par la chambre d’assemblée. Alors seulement il y aurait une crise, si le peuple canadien persiste dans sa résistance contre l’administration anglaise.