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mode sociétaire, c’est-à-dire en raison du capital, du travail et du talent. Pour cela, un lot sera fait à chacun de ces droits, à chacun de ces agens de production ; et la loi de l’intérêt commun conseillera, plus qu’on ne le pense, une répartition équitable. En effet, les capitalistes, ne pouvant espérer de beaux dividendes qu’à l’aide de bons ouvriers et de bons projets, voudront que les lots de talent et de travail soient sincèrement et convenablement établis, et les non-capitalistes, ne pouvant employer les procédés avancés qu’à l’aide de capitaux, voudront les attirer en les rétribuant d’une manière généreuse. Ainsi, au lieu de s’attribuer la part du lion, chacun des intérêts associés tendra plutôt à se dépouiller en faveur des autres.

Quand trois lots auront été faits, l’un pour le capital, l’autre pour le travail, le troisième pour le talent, viendra le tour de la répartition par individus. À l’égard des capitalistes, le mode ne fait pas question ; le bénéfice sera en raison de l’apport. Mais pour le travail et le talent, une difficulté se présente, c’est d’avoir l’échelle du talent et la mesure de l’importance du travail. Ici Fourier s’écarte hardiment des routes battues ; ce n’est pas le travail brillant qui aura le pas sur les autres, mais le travail nécessaire. Il fait la part du pauvre avant celle du riche, la part des bras avant celle de l’intelligence. La masse le préoccupe beaucoup plus que l’individu, et il juge l’œuvre dans son influence sur les besoins collectifs. Il classe donc les travaux en travaux de nécessité, travaux d’utilité, travaux de simple agrément. Les travaux d’agrément seront les moins rétribués, les travaux utiles le seront davantage, les travaux nécessaires plus que les deux autres. Sous le régime actuel, c’est à peu près l’inverse. Fourier, calculant que les travaux nécessaires étaient presque tous d’une nature répugnante, a dû, pour y introduire l’attraction, les rendre beaucoup plus lucratifs que les autres, et en revanche il n’a attaché qu’une bien moindre prime aux travaux attrayans par eux-mêmes. Cette combinaison est la plus belle théorie d’équilibre qui se soit faite ; elle conclut tout-à-fait à l’avantage de ce qu’on nomme aujourd’hui la classe pauvre. En effet, comme les travaux nécessaires, durs et pénibles, sont presque tous le lot du peuple, le peuple, dans le mécanisme sociétaire, serait tout à coup placé non-seulement hors des voies du besoin, mais encore sur le chemin de la richesse. Cette nouvelle justice distributive déterminerait en outre une rotation perpétuelle, un renouvellement incessant dans le personnel des classes, et y détruirait le germe des rivalités haineuses qui les déchirent aujourd’hui. L’harmonie universelle y trouverait un gage de plus. Ce