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SOCIALISTES MODERNES.

par le tableau des relations actuelles, l’utilité et l’urgence d’une réforme. Habitué à ne rien voir en beau, il a un peu chargé les traits du modèle, et peint le monde sous des couleurs qui ne le flattent pas. Dans l’état agricole, morcèlement fatal, exploitation égoïste et inexperte ; dans l’état industriel, déperdition effrayante de forces, travail répugnant, ingrat, mal rétribué, mensonge, guerre flagrante, choc d’industries ou rivales ou parallèles ; dans l’état social, lutte des diverses classes ; ici, richesse insolente ; là, misère farouche, fourberie dans les relations, méfiance érigée en esprit de conduite, oppression de la masse au profit du petit nombre ; enfin, impuissance à se défendre contre l’univers extérieur, contre les intempéries qui usent avant le temps la santé de l’homme, et contre les épidémies qui le foudroient ; voilà ce qu’il a vu, ce qu’il constate, et ce qui légitime complètement à ses yeux une aspiration vers des destinées meilleures. De ces fléaux, il en est plusieurs que l’association dans l’ordre matériel peut faire disparaître ; mais il en est d’autres qui ne se retireront que lorsque l’association aura été introduite dans l’ordre moral. Pour arriver à l’harmonie des forces humaines, il faut auparavant l’établir dans les facultés et dans les passions.

Maintenant, par quelles voies pourra-t-on à l’indigence faire succéder la richesse graduée, la vérité à la fourberie, les garanties mutuelles à l’oppression, une climature régulière aux désordres atmosphériques ; enfin à l’incohérence présente une marche de progrès pour la race humaine ; telle est la deuxième face de la question. Fourier en parcourt toutes les attenances ; il accorde un mot aux modes d’association imparfaite qui peuvent précéder le sien, examine ce qu’il nomme le garantisme, le sociantisme la communauté, pour conclure de leurs vices à la supériorité de l’association composée ou harmonienne, qui est sa découverte. Cette association, il veut la naturaliser d’abord dans l’agriculture, qu’il appelle une industrie ; grande et précieuse industrie en effet, autour de laquelle pivotent toutes les autres. Au lieu de vastes centres qui absorbent et étiolent les populations, au lieu de bourgs, de villages, de hameaux, jetés au hasard sur la carte, mal cadastrés, mal délimités, aussi incohérens dans leur distribution générale que dans leur organisation particulière, Fourier entend grouper l’humanité par communes ou phalanges, régulières pour le nombre des habitans, pour l’ordonnance intérieure et pour les conditions d’équilibre vis-à-vis d’autres phalanges ou communes, obéissant à des lois analogues. Il en serait de ces phalanges comme des corps célestes qui ont un mouvement sur eux-