Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/430

Cette page a été validée par deux contributeurs.
426
REVUE DES DEUX MONDES.

Napoléon. Sans doute ce déshabillé nous fait apercevoir quelques-unes des faiblesses de l’homme, que cachait le manteau du héros, mais le grand génie et les grandes choses subsistent ; si l’histoire est bonne à quelque chose, c’est à ceci : à rectifier nos idées sur le présent par la connaissance du temps passé.

La phrase est le tyran de notre siècle. Si j’étais écrivain, si j’avais une force et une action quelconque, je voudrais lui faire la guerre. Nous sommes encore comme les Romains, sous l’empire de la déclamation. Peu philosophique et paresseux, notre siècle se paie de cinq ou six mots qu’il prend pour des idées, et sur lesquels il vit. Tout ce qui circule d’idées fausses, tout ce qu’il y a de lieux communs, menteurs et pernicieux, tout cela originairement n’était que des phrases, des périodes sonores qui sont passées en idées, qui passent quelquefois en actions. Le premier qui a fait l’apologie du suicide ne pensait pas à se tuer, mais bien plutôt à être de l’Académie, ou à je ne sais quel autre honneur. Sa riche période a fait périr bien du monde.

Pardonnez-moi d’avoir quitté, un peu plus long-temps qu’il ne le fallait peut-être, la triste histoire de Tibère. Il était sur le continent, lorsqu’il apprit que des accusés dénoncés par lui-même venaient d’être renvoyés libres sans avoir été entendus. Cette velléité d’indépendance du sénat lui causa une étrange colère ; il se hâtait de retourner à Caprée, retraite sûre d’où il frappait ses coups, mais la maladie ne le lui permit pas. Il y a différentes manières de raconter sa mort. Les uns disent qu’un poison lui avait été donné ; d’autres, qu’au retour d’une défaillance la nourriture lui fut refusée ; d’autres enfin le font étouffer sous des matelas au moment où après un long évanouissement il se réveillait et demandait son anneau impérial, qu’on lui avait ôté pendant sa léthargie. Le récit de Sénèque a quelque chose de dramatique. Se sentant mourir, il ôta son anneau et le tint quelque temps en main, comme pour le donner à un autre, puis le remit au doigt et resta long-temps immobile, la main gauche fermée ; puis tout à coup il appela, personne ne lui répondit ; il se leva, les forces lui manquèrent, il tomba au pied de son lit. Dans tous ces récits, il y a une chose remarquable : c’est la servilité envers l’homme tant qu’il a espérance de vivre, l’abandon quand la mort est certaine. S’il tombe en défaillance, sa chambre est vide ; s’il revient, ceux qui ont déjà commencé à lui succéder pâlissent, se taisent et n’attendent plus que la mort. Selon le récit de Tacite, on l’assassine en tremblant, pendant que Caligula, qui s’est déjà presque proclamé empereur, reste pâle et stupéfait en apprenant son retour à la vie. Macron,