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LES CÉSARS.

majesté comme Tibère ; comme Tibère, un sénat qui leur obéissait à la consternation générale, et, tout tremblant, envoyait les proscrits à la mort ; comme Tibère, leurs gémonies, nos places et nos quais (nos pères l’ont vu) ; ils jetaient le même jour, non pas vingt cadavres (la plus sanglante journée du tyran de Rome), mais quatre-vingts, mais cent cadavres à la fois !

Nous ne voulons certes pas comparer les deux époques, leur parallèle est loin d’être complet ; mais ce fut, comme sous Tibère, cette décimation calculée de tout un peuple, où il ne s’agissait plus de frapper tel ou tel, mais de frapper le plus grand nombre possible pour effrayer tous, exemple unique, je crois, dans l’histoire moderne ! Ce furent par suite ces mêmes honneurs rendus à la délation, ce même espionnage, cette même police gratuite, le plus souvent exercée pour sauver sa tête, moins encore de formes judiciaires et plus d’indifférence sur la réalité des accusations, et du côté des masses, cette promptitude avec laquelle la terreur se forma, cette contagion universelle de la peur, cet oubli de toute résistance, malgré la faiblesse réelle du pouvoir ; plus de courage pour mourir que pour se défendre et pour vivre ; au contraire, je dirais presque une habitude de la mort, une facilité à aller au supplice, ce qu’on a appelé la fièvre de l’échafaud !

Ce fut aussi cette éducation à l’antique, déclamatoire et puérile, cette ère de phrases et d’antithèses où se formèrent les Romanus Hispo et les Hatérius de ce temps-là ; médiocres avocats, acteur sifflé, mauvais médecin, à qui on avait appris à admirer Brutus et Caton, et qui, adorant tout de travers l’antiquité qu’ils ne comprenaient pas, crurent la réaliser en ne réalisant que son ignoble décadence ; grands faiseurs de phrases, ne tuant pas un homme sans arroser sa tête de quelques figures de rhétorique ; Anacréons de la guillotine, gens chez qui je n’ai jamais pu découvrir autre chose qu’une profonde médiocrité ; voyez seulement l’étroitesse de leurs fronts !

Chez les uns ou chez les autres, on pourrait retrouver et la peur, premier mobile de Tibère, et son amour d’argent, et son luxe tout honteux de Caprée, et ses débauches et son mélange de cruautés et de fêtes. Mais, grâce à Dieu, il y eut encore des différences. Tibère monta sur le trône dans la situation la plus pacifique, au milieu de la société la plus régulière, toute pleine encore de l’esprit paternel, placide, conservateur, d’Auguste. Les montagnards furent jetés aux affaires au milieu d’une crise propre à étourdir de plus fortes têtes. Il créa la terreur, eux la trouvèrent,