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terreur. La terreur croît par cela seul qu’elle existe ; on a peur de la peur qu’on a eue, on tremble parce qu’on a tremblé, on trahit parce qu’on a trahi ; le simple citoyen dénonce parce qu’il a dénoncé hier ; le sénat condamne parce qu’il a condamné. Une fois le parti de la peur préféré à celui de la résistance, il n’y a plus qu’à avancer dans la même route, et, de cette façon, quelques délateurs arrivent à faire trembler tout un peuple.

Et remarquez une chose : c’est que le premier instrument de Tibère était le sénat, c’est-à-dire ce corps qu’il menaçait davantage, celui dont il était le plus détesté, celui dont il affectait de redouter les poignards. Le sénat était encore le centre de tout ce que Tibère avait plus à cœur de poursuivre, des grands noms, des grandes fortunes, des illustrations personnelles. Il frémissait chaque fois qu’on lui en demandait une, mais il les livrait l’une après l’autre, espérant peut-être que l’avidité du tyran serait rassasiée, et chacun s’estimant trop heureux encore que ce ne fut pas son tour[1]. Ainsi le sénat et l’aristocratie se livrent, se mutilent eux-mêmes, et je ne connais rien de plus caractéristique que cette simple note de Tacite : « Pison cessa de vivre à cette époque ; étrange chose après une telle illustration, il mourut dans son lit ! »

Telle était la société, le peuple, le sénat ; mais venons-en au chef de toute cette terreur, au grand moteur de toutes ces craintes, et en même temps au plus grand trembleur de tout cet empire ; voyons d’un peu plus près ce que la tyrannie faisait de ce tyran ; regardons le monstre dans sa cage qu’il avait si bien verrouillée en dedans, qu’il pouvait à peine en sortir.

Au sein de la mer de Naples, à trois milles du rivage, vis-à-vis toute cette côte de la Campanie, plus belle encore, disent les anciens, que le Vésuve ne l’a faite depuis, s’élevait Caprée, prison au dehors, au dedans lieu de délices, rocher escarpé au sommet duquel s’apercevait le faîte des douze villas construites par Tibère en l’honneur des douze grands dieux, des thermes, des aqueducs, des arcades qui joignaient des vallées. Ce petit coin de terre protégé par la mer contre le bruit du continent, par le mont Solaro contre toutes les rigueurs de la saison, avait déjà plu à Auguste, qui était venu y passer quatre ans. Après Tibère, Néron vint y habiter aussi, tout tyrans

  1. « On accusa en masse Asinius Pollion, Appius Silanus, Scaurus Mamercus, et avec Pollion Vinicianus, son fils, tous de haute naissance, plusieurs parvenus aux premières charges. Les sénateurs tremblèrent ; c’étaient tant d’hommes illustres : qui pouvait être pur de toute alliance, de toute amitié avec eux ? »(Tacite, Annal., vi, 9.)