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LES CÉSARS.

C’était auprès d’elles que les enfans de Germanicus avaient espéré trouver un refuge.

Mais il faut le dire d’abord : les masses sont bien plus inertes, leur action sur la vie sociale bien plus rare, qu’on n’est tenté de le croire. En tout lieu et en tout temps, les minorités gouvernent. Dans quelques pays du nord, des moyens toujours un peu artificiels ont appelé une minorité plus forte, mais encore une minorité ; à la fiction, sinon à la réalité du gouvernement. Et déjà si vous descendez en France, vous trouverez la loi plus empressée à donner que les masses à recevoir ; les magnifiques droits qu’elle offre, insoucieusement négligés, pour un marché à faire ou pour une journée de moisson, et les salles d’élection laissées aux procureurs et à leurs cliens. C’est bien mieux encore dans le midi, où la double facilité d’oublier et de vivre, les jouissances de l’oisiveté, l’heureux débarras de toute prévoyance, la vie jour à jour, heure à heure, rendent le peuple plus répugnant et plus étranger à ces vides et sérieuses simagrées de la vie politique, pays ingouvernables par de tels moyens, si je m’en crois. Voyez les invalides révolutions d’Espagne et d’Italie, révolutions prétoriennes que fait un régiment, qu’un bataillon défait ; et la nation que pense-t-elle ? que fait-elle ? La nation est ici, au coin de la rue, assise à terre quand elle ne peut avoir de meilleur siége, mangeant son macaroni, buvant son chocolat, fumant son cigarre (si la révolution lui en a laissé un), savourant au moins, ce qu’on ne peut lui ôter, son beau soleil ; regardant la révolution passer, bien des fois ne laissant pas que d’en souffrir, mais ne songeant pas à s’en mêler, faisant bien ou mal, mais faisant ainsi.

Ce n’est pourtant pas assez pour expliquer cette patience de vingt ans, cette terreur si lâche de tout un peuple devant un vieillard sale et décrépit qui lui-même tremblait devant lui, dans une masse comme la population de l’empire, où la population seule de Rome, la portion forte et intelligente, devait être assez nombreuse pour s’affranchir à elle seule. Mais pourtant les prétoriens eux-mêmes semblent, dans la suite de l’histoire, bien plutôt destinés à repousser un compétiteur étranger qu’à étouffer une sédition. Tibère, au milieu de toutes ses craintes, ne paraît redouter qu’un assassinat et non une émeute.

Pourquoi donc ?

Voici, je crois, la cause fondamentale. L’antiquité, je l’ai dit assez souvent, reposait sur le principe de l’égoïsme national ; c’était dans les républiques du patriotisme, du despotisme dans les monarchies ; et ne croyez pas que le despotisme, malgré le sens que nous atta-