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à briser sous ses yeux, son corps à jeter au croc, aux gémonies. Et ce corps y avait été jeté depuis neuf mois avant que Tibère se crût bien sûr de son fait, et eût le courage de sortir de la maison qu’il habitait.

Quelques naïfs espéraient alors un gouvernement plus doux ; il devait en être tout autrement. Les amis de Séjan, c’est-à-dire tout ce qui lui avait fait la cour, tout ce qui avait flatté ses premiers esclaves, c’était une belle matière à proscriptions. Il se mêlait à cette poursuite, vaste et indéterminée, quelques ressentimens d’honnêtes gens. Le sénat osa deux ou trois fois profiter de l’occasion pour frapper, parmi la foule des proscrits, quelques bien infâmes délateurs. Le moment était chanceux pour ceux-ci ; ils avaient beaucoup à gagner, beaucoup à perdre.

On connaît l’horrible supplice des enfans de Séjan. Les prisons étaient remplies de ses amis ou de ceux qui passaient pour tels. Tibère, fatigué, les fit massacrer tous à la fois. Ce fut un affreux carnage. Il y en avait de tout sexe et de tout âge, d’illustres et d’inconnus ; il y avait des cadavres entassés, d’autres épars çà et là ; on les jetait dans le Tibre sans que leurs parens pussent seulement en approcher. Des gardes étaient là épiant chaque douleur, et tous ces corps flottèrent à l’aventure, sans que personne osât, tant les liens de la vie humaine étaient brisés, en ramener un seul sur le rivage, ou rendre le moindre honneur à ceux que le flot y portait.

Ce fut alors le plus haut période des cruelles passions de Tibère. Accoutumé à la terreur universelle, bien enfermé dans sa retraite, alléché par le sang qu’il avait goûté, il n’eut plus de frein, ni de mesure. Des enfans de neuf ans, selon Suétone, furent punis du dernier supplice ; le deuil devint matière à accusation. Les femmes, qu’il était plus difficile de condamner sous d’autres prétextes, furent poursuivies pour cause de douleur (ob lacrymas). Tout pliait devant Tibère ; le sénat était d’une servilité fatigante pour lui-même. Dion rapporte que les deux consuls, qui venaient de célébrer le vingtième anniversaire de son règne avec tout le luxe ordinaire d’encens et de flatteries, furent aussitôt accusés, et reçurent leur sentence de mort. Gallus, condamné par le sénat au moment où il était à la table du prince, attendit pendant trois ans l’exécution de son jugement. C’était, en effet, un jeu de Tibère que de faire languir les proscrits en face du supplice. À l’un d’eux qui lui demandait la mort, il répondit : « Je ne suis pas encore réconcilié avec toi. » Enfin, trois ans après la chute de Séjan, on poursuivait encore ses amis ; et Tibère, impatient d’être au courant des supplices, était venu, non pas dans Rome, où la peur