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LES CÉSARS.

pas venu lui demander en mariage une femme du sang impérial, Livie, qui était déjà sa maîtresse ? cet homme ne pouvait-il pas prétendre à lui succéder ? et, aux yeux de Tibère, un héritier ressemblait beaucoup à un assassin. Cependant tout était habitué à obéir à Séjan, la force de l’empire était dans ses mains, la lutte pouvait devenir dangereuse.

Tibère n’attaquait jamais de front ; il chercha d’abord à Séjan un rival. Ce fut le dernier fils de Germanicus, Caïus, aimé, à cause de son père, du peuple et de l’armée, et que le prince commença à montrer comme son successeur. Il lui chercha aussi un remplaçant, destiné à être après Séjan préfet du prétoire, c’est-à-dire chef de la seule force militaire dont on ne se défiât pas, et gouverneur de l’empire sous Tibère. Macron fut celui qu’il choisit.

Écoutez maintenant cette scène de la vie romaine, et voyez comment il s’y prit pour briser son Séjan. Il commença par bien s’assurer sur son rocher de Caprée ; il tint des vaisseaux prêts pour sa fuite, établit des signaux pour connaître plus tôt l’issue de l’évènement. Macron alors, au milieu de la nuit, arrive à Rome, rencontre Séjan : « J’ai une lettre de César pour le sénat, dit-il, César te fait tribun. » C’était l’associer à l’empire. Séjan, plein de joie, arrive au sénat : on le félicite de toutes parts. Cependant on lit la lettre ; elle était longue, soumise, obséquieuse, parlant un peu de Séjan, puis revenant à des choses indifférentes, puis à Séjan encore, et se plaignant de lui ; cela étonnait. Les amis de Séjan étaient graves, silencieux ; ceux qui étaient moins directement liés à sa fortune faisaient quelques pas pour s’écarter de lui. Mais vint la fin de la lettre, où le vieux César, d’un ton piteux, bas, plaintif, demandait qu’un des consuls et une garde de soldats vinssent le prendre à Caprée pour le conduire à Rome en sûreté s’expliquer devant le sénat. (Terrible menace que cette poltronnerie !) Tout changea de face ; le sénat, qui, un moment auparavant, complimentait Séjan, se mordit les lèvres ; les préteurs l’entourèrent ; les malédictions tombèrent sur lui comme l’orage, comme au 9 thermidor.

Et pour que la ressemblance fût plus parfaite, les prétoriens, les soldats de Séjan, lui manquaient de parole. Macron était dans leurs rangs, jetant de l’or, montrant les ordres de César. Incertains, n’osant attaquer, n’osant défendre, ils prirent un terme moyen et plus sûr ; ils se mirent à piller Rome. Mais le peuple de Rome, lui, avait bien autre chose à penser ; il avait Séjan à traîner dans les rues, il avait à blasphémer cette idole déchue, ses statues et ses trophées