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LES CÉSARS.

général. Tout ce qu’il y avait à Rome de vieille noblesse, d’illustrations toujours mal vues et dangereuses sous Tibère, de généraux écartés des armées, de compagnons d’armes de Germanicus, tout cela maintenu dans la suspicion, dans le péril, par la méfiance du prince contre toute supériorité, se ralliait à Agrippine et à ses enfans.

Séjan lança ses ruses et ses intrigues à travers cette puissance trop fière d’elle-même. Agrippine, avec sa hauteur et sa liberté de parole, se perdit en laissant paraître des soupçons qu’on lui avait fait concevoir contre Tibère. Le jeune Néron, le favori du peuple et de sa mère, inconséquent et léger, se livra à des amis qui n’étaient que des espions, tandis que d’autres amis du même genre excitaient contre lui la jalousie de son frère, se laissa entraîner, par leurs provocations, à d’imprudentes invectives, dont chaque parole était recueillie et dénoncée. L’espionnage alors était partout ; et comme ailleurs, dans l’aimable famille de Tibère, par la femme de Néron, la fille de sa maîtresse Livie (voyez comme chez ces femmes la vertu était héréditaire !), Séjan n’ignorait pas un mot, pas une plainte, pas un soupir, pas un rêve de ce jeune homme. Peu à peu, il sapait les états de cette noble maison ; les uns après les autres, les anciens amis de Germanicus, espionnés, dénoncés, accusés, mis à mort, laissaient sans rempart et sans défense l’imprudente famille de leur patron.

L’alarme s’y mit bientôt, et le vertige qui vient après elle. Néron ne rencontrait plus personne qui lui parlât ; on se détournait en le voyant ; les amis de Séjan se raillaient de lui. Agrippine, dans une espèce de délire, vint un jour se jeter en pleurs aux genoux de Tibère, et lui demander, elle dont toute la gloire était d’avoir été comme les anciennes Romaines, univira, la permission de se remarier. On leur conseillait de s’en aller sur le Forum, d’embrasser la statue d’Auguste, d’appeler le peuple à leur secours contre cette guerre sourde et irrésistible que leur faisait la délation, ou bien encore de fuir en Germanie, d’aller trouver les légions, de se mettre sous la protection des aigles du prétoire. Ils firent la double faute d’écouter ces conseils et de ne pas les suivre.

Tibère méditait un grand coup ; mais il avait peur. Il eut recours à sa ruse ordinaire, il fit le mort ; il partit de Rome, presque sans cortége, avec ses amis les grammairiens, ne voulant entendre parler ni de harangues, ni de félicitations sur son passage. Les astrologues, la puissance du siècle, prédisaient qu’il ne reviendrait pas à Rome.

Alors, en bon homme, en amateur des beautés de la nature, il se promena long-temps autour du golfe de Naples, à Nole, à Sorrente,