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produisait une certaine solennité dans les mœurs, quelque chose d’officiel, d’apprêté, d’oratoire dans toutes les habitudes. La harangue était de tous les momens, de toutes les affaires ; concio est le speech des Anglais. Dans la vie de famille, on se haranguait comme dans la vie politique. Germanicus mourant harangue ses amis ; un rhéteur fatigué de vivre vient au Forum, monte à la tribune, expose en trois points les raisons qu’il a de mourir, puis retourne chez lui, cesse de manger et meurt. Antoine, violemment attaqué dans le sénat par Cicéron, ne se croit pas en état de lui répondre sur l’heure ; il va à la campagne, s’y enferme avec un maître de rhétorique, y étudie, déclame, improvise pendant quinze jours, puis revient au sénat et fulmine son écrasante improvisation. Dans Tacite, cet homme qui raconte son propre temps et qui le raconte avec une si profonde intelligence, Sénèque, que commencent à inquiéter les dispositions peu aimables de son impérial élève Néron, l’aborde et lui fait un speech dans toutes les formes pour lui demander sa retraite. Néron lui répond comme on ferait à la chambre : « Si je ne crains pas de répondre sans préparation à un discours longuement médité, c’est à toi que je le dois, etc., etc. »

Un avocat chez nous, c’est un homme souvent assez vulgaire, qui, secouant les plis d’une vieille robe noire, criant d’une voix enrouée des phrases mal faites et mal sonnantes, frappant sur le barreau, n’a certes rien de pompeux ni de théâtral. Mais un avocat chez les Romains, c’était un magique artiste de paroles, monté sur une large tribune, s’y promenant à droite et à gauche, se drapant habilement dans les plis de sa toge blanche (un rhéteur du temps des empereurs se plaint quelque part des petits manteaux de son temps, dans lesquels, disait-il, l’éloquence est étriquée), prenant le la d’un joueur de flûte afin de ne pas commencer sur un ton trop haut ou trop bas, donnant à sa voix toutes les inflexions étudiées d’une déclamation d’acteur, modulant son geste, se complaisant dans ses cadences, charmant au moins les oreilles quand il ne parlait ni à l’esprit, ni au cœur ; entamant avec une douceur insinuante les préventions de son auditoire, exposant avec clarté, racontant avec esprit, argumentant sans pédantisme, sophistiquant avec élégance, injuriant en phrases poétiques, vouant avec grâce son adversaire aux dieux infernaux, ayant des malédictions, des colères, des violences harmonieuses ; pleurant à la péroraison, pleurant de rhétorique, de fatigue, d’émotion même, car il ne faut pas oublier ce qu’il y a d’émotion facile et de sensibilité passagère dans les ames méridionales. Telle était cette vie d’apparat