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Cela était grand et beau, bien que fort absurde ; c’était la déification de la société, l’immolation de l’individu.

Voilà pour la morale. Voici maintenant pour l’intelligence (nous parlons du bon temps de l’éducation romaine, et non pas de la Rome grécisée, qui commence avec les Scipions). Alors chaque homme était appelé à tout. Les fonctions publiques ne se divisaient que par degrés, et non pas comme chez nous par attributions ; le préteur rendait la justice à Rome, et hors de Rome commandait l’armée ; le questeur était au civil un intendant de province, au militaire un munitionnaire-général. Le consul faisait la guerre, délibérait au sénat, offrait des sacrifices et des prières, général, orateur, pontife, homme politique tout à la fois.

De là les quatre grandes études qui composaient toute éducation : la guerre, le culte, le droit, l’éloquence ; c’étaient là les vraies sciences romaines. Il n’était personne qui ne commençât par être soldat, personne qui ne fût en sa vie accusé ou accusateur, personne qui n’eût quelque charge pontificale à remplir, ou quelque avis à donner sur le droit. Cicéron, qui cependant ne vint que tard, et qui nous semble un homme tout pacifique, fut général, avocat, financier, jurisconsulte, orateur, poète, philosophe, homme d’état. César fut tout cela, et bien plus que tout cela.

Mais à cette époque pourtant les anciennes mœurs étaient en décadence. Ces quatre sciences, ou plutôt ces quatre fonctions publiques (car les Romains ne les envisageaient que sous ce point de vue) avaient été long-temps la propriété exclusivement et jalousement gardée du patriciat. Quand elles furent ouvertes à tous les rangs du peuple, elles ne purent plus être cultivées par chacun : dans la presse on se les partagea ; l’un eut plus de cœur, et, sa première cause plaidée, se voua à la guerre ; l’autre plus de poumons, et après sa première campagne se mit à plaider ; celui qui ne se sentit de force ni pour la vie des camps, ni pour les clameurs du Forum, mit une branche de laurier sur sa porte, s’assit dans un grand fauteuil, et attendit les consultations. Il y eut alors, avec la même universalité d’éducation, trois carrières distinctes pour la jeunesse : l’armée, l’éloquence et le droit.

Mais comme d’un côté la gloire militaire menait aux premières fonctions politiques, positions parlantes, délibérantes, accusantes et accusées ; comme de l’autre le droit n’était guère qu’un pis-aller pour les mémoires courtes ou les poitrines faibles, tout le monde s’exerçait au partage en public. Voyez l’Angleterre du dernier siècle,