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trois semaines, et voilà que les journaux espagnols publient des lettres qui tendraient à le faire croire marié secrètement avec la princesse de Beira, tandis que les journaux de Paris le disent mourant. La princesse de Beira, sœur de don Miguel, est veuve d’un infant d’Espagne qui appartenait à une branche établie en Portugal, et mère de l’infant don Sébastien. C’est auprès d’elle que résident en Autriche les enfans de don Carlos. Elle a toujours exercé sur ce prince un grand empire, et, sous le règne de Ferdinand VII, elle était l’âme d’un parti plus royaliste que le roi, absolutiste fougueux, altéré de vengeance, avide de persécutions, qui rêvait l’Espagne de Philippe II, et aurait voulu remettre les auto-da-fés en honneur. Ce n’est ni un esprit, ni un caractère ordinaire ; elle a toute la férocité d’une nature africaine et sauvage, qui rappelle les Frédégonde et les Brunehaut. Ferdinand VII en avait peur. On la croyait, en Espagne, capable de se porter aux derniers excès pour satisfaire ses passions politiques. Telle est la femme que don Carlos aurait épousée, telle serait la reine dont il menacerait l’Espagne, si les lettres qu’on a publiées d’après une feuille de Saragosse avaient quelque authenticité. Mais on les regarde généralement comme supposées, et on ne sait trop comment aurait eu lieu le mariage dont elles tendent à accréditer le bruit, puisque don Carlos et la princesse de Beira se sont séparés avant que la mort de l’épouse du prétendant eût rendu cette union possible. Au reste, si quelque chose pouvait aggraver le malheur qui frapperait l’Espagne dans une restauration au profit de don Carlos, ce serait l’influence que prendrait infailliblement sur lui la digne sœur de don Miguel.

On dit que la cause de don Carlos trouve en Europe, dans les grandes monarchies du nord et de l’est, des sympathies ardentes, quoique bien timides. Si cela est vrai, il y a là un déplorable aveuglement. Nous ne connaissons pas de plus grand danger que le triomphe de don Carlos pour le principe de la monarchie absolue. Don Carlos et son parti signaleraient le rétablissement de la monarchie absolue en Espagne par des atrocités et des extravagances telles, qu’il se ferait par toute l’Europe, dans l’esprit des peuples, une réaction contre le principe monarchique, pareille à celle que les excès de la révolution française ont provoquée contre le principe libéral, et dont les plus fermes intelligences de cette époque ont subi l’influence. M. de Werther et M. de Metternich auraient trop à rougir de leur allié. L’opinion publique de la Prusse et la modération du cabinet prussien se révoltent à beaucoup moins ; car, il y a un mois, tous les journaux censurés de l’Allemagne protestante ont accusé le gouvernement sarde d’intolérance et d’illibéralisme, à propos de la publication d’un code qui refusait aux protestans la jouissance de certains droits civils. Ce serait bien autre chose en Espagne avec don Carlos pour souverain, la princesse de Beira pour influence dominante, et M. Calomarde pour instrument de sa politique. Mais l’Espagne n’est pas réservée à cette funeste épreuve, et la cause constitutionnelle, abandonnée d’un commun accord à ses propres forces, paraît devoir trouver en elle-même les ressources nécessaires pour triompher.