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conservateurs se sont néanmoins laissé entraîner sur la pente des concessions à l’esprit démocratique. Mais nous ne croyons pas que ce mouvement doive aller bien loin et qu’il soit fort dangereux. Il indique seulement une tendance de l’esprit public, maintenant faible encore, qui sera un jour plus impérieuse, et le deviendra davantage à mesure que les partis destructeurs s’effaceront. S’ils venaient à s’annuler entièrement comme partis, si les intérêts qui demandent l’ordre avant tout ne les voyaient plus, derrière certaines concessions, prêts à en faire des instrumens de révolutions nouvelles, le courant, peu sensible aujourd’hui, qui porte dans le sens d’un progrès paisible et modéré, serait bientôt irrésistible. Le pouvoir doit s’y attendre : mais on n’en est pas arrivé là. Il reste trop à faire dans l’ordre des améliorations matérielles pour que les innovations dans l’ordre politique aient une chance prochaine de concentrer sur elles tout l’intérêt de la nation et de ses représentans. Le ministère a d’autant moins à s’en effrayer, qu’il n’inspire aucune défiance à l’opinion libérale, et qu’on ne lui attribue aucune arrière-pensée systématique de refoulement et de compression. Pousser l’activité du pays dans les voies du progrès industriel, l’occuper de grandes entreprises, de chemins de fer et de canaux, tel est son plan, telle est la mission qu’il doit se donner, et nous croyons qu’il s’y prépare sérieusement. Deux vérités incontestables ressortent pour nous des dernières manifestations de l’esprit public, et elles sont aussi rassurantes pour les amis de l’ordre que pour ceux de la liberté : c’est, d’une part, que la dynastie et la constitution sont au-dessus de toute atteinte ; c’est, de l’autre, que les droits garantis et étendus par la révolution de juillet, que les prérogatives de la classe moyenne et l’ordre particulier d’institutions dont elles dépendent, ne sont pas moins inattaquables et sont définitivement acquis au pays. Il y a sans doute des points sur lesquels le pouvoir est faible en théorie ; mais il faut renoncer à le fortifier, car on n’y réussirait pas. Sur la défensive contre les factions, il a été assez fort, il a lutté, il lutterait encore avec succès. Qu’il prenne l’offensive contre les préjugés de la classe bourgeoise, contre les erreurs même de son esprit, il échouera. En un mot, qu’il veuille refaire la société sur un modèle idéal, qu’il attaque de front certaines tendances au lieu de les détourner, il se préparera d’immenses difficultés. Et à quoi bon ? Que le pouvoir soit éclairé, consciencieux et juste ; qu’il marche d’accord avec le pays, en contribuant, autant qu’il est en lui, à son bien-être, et il aura de fait toute la force nécessaire pour accomplir sa mission. Nous n’en voulons d’autre preuve que l’exemple de la Belgique. C’est là, encore une fois, la conclusion à tirer du mouvement d’opinion très libéral que l’approche des élections a provoqué ; mais c’est la seule, et il ne menace ni la royauté, ni le cabinet.

En Espagne, la fortune continue à favoriser les armes de la reine. Don Carlos a essuyé dans ces derniers temps plusieurs échecs qui l’ont forcé à évacuer la Vieille-Castille, et à repasser l’Èbre avec une armée mécontente et démoralisée. Ses lieutenans n’ont pas été plus heureux que lui-même