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du pays et des chambres, s’il garde Constantine. Depuis ce succès, il se sent plus fort, plus respecté, plus compté que jamais ; il est habile, on s’habitue aussi à le croire heureux. Pourquoi irait-il de gaieté de cœur renoncer à ses avantages ? Pourquoi se présenterait-il à la nouvelle chambre les mains vides, quand il peut mettre à ses pieds les clés d’une grande ville, capitale de l’Afrique romaine, glorieusement conquise ?

Nous n’avons jamais, pour notre compte, hésité sur la question d’Alger : mais supposons que d’autres puissent hésiter, que la nouvelle chambre arrive incertaine, irrésolue, effrayée des sacrifices qui seraient exigés par une occupation plus large, plus aventureuse, si l’on veut. Eh bien ! nous dirions encore au ministère qu’il est d’une bonne politique de s’affermir et de s’enraciner à Constantine. On a besoin de quelque temps pour juger l’effet moral produit sur une population fataliste par une catastrophe que certainement elle ne redoutait pas, et qui doit être bien grave à ses yeux, puisqu’elle a fait des efforts si désespérés pour la prévenir. Nous ne parlons ici que des Kabaïles et des Turcs : quant aux Arabes, les mêmes idées de fatalisme agiront infailliblement sur eux, et nous aurons de plus à compter sur une réaction en notre faveur contre un joug détesté. Ce sont là, du moins, autant qu’il est aujourd’hui possible de l’entrevoir, les principales données de la position.

Le ministère n’a probablement pas encore tous les élémens d’une solution définitive, en ce qui le concerne. Qu’il attende donc et laisse la question entière. Il a tout avantage à prendre ce parti ; car, si les choses tournent bien, si les Arabes se soumettent ou n’osent remuer de quelques mois, si Constantine est approvisionnée régulièrement des alentours, ou même seulement ravitaillée sans peine, du camp de Guelma ; en un mot, si la conservation provisoire ne coûte pas trop en hommes et en argent, le ministère pourra, sans manquer à la prudence, user de son initiative pour demander aux chambres les moyens réguliers d’une occupation permanente. Si, au contraire, les renseignemens recueillis, l’expérience d’un séjour difficile, l’attitude hostile des Arabes, autorisent à conclure qu’il faudrait jouer trop gros jeu sur cette carte, le ministère exposera loyalement la situation des choses, et prendra conseil des chambres avant d’engager sa responsabilité. Nous croyons, en général, qu’un gouvernement doit donner l’impulsion au lieu de la recevoir, et qu’une attitude passive ne convient ni à son honneur, ni aux intérêts du pays. Il serait fâcheux, sans doute, qu’à chaque question un peu grave, il vînt humblement demander conseil, même à la représentation nationale, et ne prît rien sur lui sans autorisation. Mais il y a des questions tellement importantes, si étendues, si controversées, qu’un ministère sage fera bien de ne pas résoudre seul, quand rien ne le presse, quand l’honneur est sauf, et quand il s’agit d’un système qui engage un long avenir. Or, la question d’Alger est incontestablement de cette nature, et la prise de Constantine en provoque de nouveau la discussion et l’examen. D’un côté, on ne peut la soustraire au contrôle des chambres, et de l’autre, ce contrôle