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L’OPPOSITION ET LE PARTI RADICAL.

qui en suspendent l’action. Toute opposition vraiment constitutionnelle doit avoir en soi le noyau d’un gouvernement.

La gauche parlementaire a vécu jusqu’ici un peu trop de son passé. Elle a cru qu’il suffisait de rester fidèle aux principes de 89, et de commenter les préceptes de droit constitutionnel qui jaillirent, sous la restauration, des besoins de la lutte, pour voir les idées se développer dans cette direction. Elle a laissé faire et n’a pas fait faire. Les nécessités de la pratique l’ont presque toujours prise au dépourvu ; et quand les évènemens ont soulevé des questions que ne comprenait pas son dictionnaire, elle en a mal à propos abandonné la discussion aux derniers venus. C’est ainsi que les saint-simoniens et les républicains l’ont impunément supplantée dans l’attention publique pendant quelques années. Elle a renoncé beaucoup trop tôt à l’étude pour l’action. De là vient qu’elle a des orateurs et n’a pas de penseurs, et que, comptant plusieurs têtes, elle n’a jamais obéi à un chef.

Ce qu’il faut soigneusement conserver de la gauche parlementaire, c’est sa position et la direction de ses opinions ; ce qu’il faut étendre, c’est le cadre même des idées qui bornaient son horizon ; ce qu’il faut renouveler, c’est le personnel du parti, par une infusion de sang jeune et chaud. Plus qu’aucune autre opinion, l’opposition a besoin d’hommes nouveaux, parce que sa nature n’est pas d’attendre l’impulsion, mais de la donner. M. Odilon Barrot est un admirable chef de file pour payer de sa personne et pour tenir d’une main ferme le drapeau d’un parti ; mais il est à peu près seul, et manque de lieutenans qui le secondent ou l’excitent dans l’occasion. D’autres élaboreront les doctrines qu’il a toute l’autorité nécessaire pour promulguer, quand elles seront parvenues à leur point de maturité.

Nous avons à fonder la monarchie démocratique, en réconciliant le nombre avec l’intelligence, et en rétablissant l’harmonie entre les intérêts matériels et les intérêts moraux. C’est une œuvre sans précédens, où chaque pas est comme l’inconnue d’un problème à dégager. L’histoire ne nous a montré jusqu’ici la liberté dans les monarchies que comme la résultante de deux forces qui se faisaient équilibre, l’aristocratie et la royauté. Nous ne sommes pas accoutumés à concevoir la grandeur en dehors de l’arbitraire, ni la fixité dans un pouvoir sans tradition. La tâche de l’opposition consiste donc à travailler l’opinion et à se travailler elle-même. Grande et glorieuse mission, s’il lui est réservé de la mener à fin.


Léon Faucher