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L’OPPOSITION ET LE PARTI RADICAL.

vilége de passionner le sentiment public. Les partis eux-mêmes ne se combattent plus que par habitude ; ils gardent leurs positions, non pas qu’ils les jugent encore les meilleures, mais pour conserver, à leurs propres yeux, une sorte d’identité. Partout les convictions chancellent, et la limite des opinions s’efface ou cesse d’être visible à l’œil nu. Il n’y a plus de foi, ni par conséquent de discipline, d’aucun côté. Les chefs cherchent avec inquiétude leur troupe derrière eux, et les soldats, doutant de leurs chefs, se mettent à guerroyer pour leur propre compte ou font la paix, au risque de devenir suspects, car jamais, avec moins de haines, il n’y eut plus de soupçons et de récriminations.

Pour qui voudrait les reconnaître, voilà bien les signes des temps. Mais, soit l’empire de la routine, soit l’impuissance absolue de s’accommoder à des circonstances qui n’étaient pas entrées dans leurs prévisions, aucun parti ne consent à faire un retour sur lui-même ; ils s’accrochent tous au contraire, avec une énergie désespérée, à leur passé qui s’écroule, comme s’il leur était donné de le fixer un seul instant. Ceux même dont l’individualité est la plus tranchée, ne portent pas leurs vœux plus haut : c’est ainsi que les amis de M. Guizot ont pris pour mot d’ordre la réélection des membres de l’ancienne majorité ; quant aux radicaux, ils se réduisent en apparence à briguer le retour de l’ancienne opposition.

Il semble, quand le gouvernement de l’opinion est mis ainsi au concours, que chaque parti doive s’empresser de relever sa bannière, de produire ses titres, et de se poser comme un centre de ralliement. Rien de pareil n’arrive cependant. C’est à qui montrera le plus de désintéressement. Chacun s’efforce de se confondre dans la foule, au lieu d’exposer en relief sa personnalité ; c’est une manie générale de coalitions. Les légitimistes demandent à se coaliser avec tout le monde ; les républicains, après avoir poursuivi l’opposition constitutionnelle de leurs sarcasmes et de leurs dédains, proposent de comprendre, dans la même raison sociale, M. Garnier-Pagès et M. Odilon Barrot ; les doctrinaires accepteraient les candidats de M. de Montalivet, si le ministère consentait à épouser ceux de M. Guizot.

Toute coalition a pour but de détruire et non pas d’organiser. Or, qu’y a-t-il à renverser aujourd’hui ? Où est l’obstacle formidable à ce point, qu’il mérite de nous arrêter devant lui ? Si le ministère a des projets de réforme, ce n’est pas l’opposition qui les traversera ; et si l’opposition a trouvé à faire luire quelque rayon de lumière dans notre chaos, elle peut assurément ne tenir aucun compte de la