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se traduire autrement que par des paroles. Quelques Américains frétèrent un navire dans le but apparent de faire un voyage à la Chine, mais dans le but secret de délivrer Muir et ses amis, s’il se pouvait. Après une traversée heureuse, le capitaine du petit navire la Loutre relâcha dans le port de Sidney, sous le prétexte de faire de l’eau et de couper du bois. Le généreux complot des Américains réussit à souhait, mais seulement pour ce qui concernait Muir. Il s’échappa de nuit, se cacha à bord du navire, n’emportant avec lui que quelques vêtemens et une petite bible que sa mère lui avait donnée en partant, et qu’il devait lui renvoyer à l’heure de la mort. En quittant Sidney, Muir laissa un billet pour le gouverneur, qu’il remerciait de sa généreuse pitié. Le reste de la vie du réformiste écossais est rempli d’évènemens presque romanesques. La Loutre s’était rendue de Sidney au Nootka-Sound, près de l’île de Vancouver, sur la côte de l’Amérique du Nord que baigne l’Océan Pacifique. Là, au grand effroi du capitaine américain et de Muir, ils rencontrent un brig de guerre anglais, qui croisait dans ces parages, et qui avait quitté Botany-Bay peu de jours avant eux. Un seul mot d’un des matelots de la Loutre pouvait perdre le fugitif. Il passe donc à bord d’un vaisseau espagnol qui le conduit à Saint-Blas, à l’embouchure du golfe de la Californie. Là, le gouverneur espagnol l’autorise à traverser toute la partie du continent américain appartenant au Mexique. Après des fatigues inouies, il arrive à la Havane, où le vice-roi de cette île, qui regardait tout Anglais comme ennemi (son gouvernement était alors en guerre avec le gouvernement anglais), le fit jeter dans un cachot. Muir passa plusieurs mois dans les prisons de la ville. Mais enfin, faisant droit à ses réclamations répétées, on l’embarque sur une frégate espagnole qui doit le conduire à Cadix ; arrivée en vue du port de Cadix, cette frégate est entourée par l’escadre de l’amiral anglais Jervis, qui croisait sur les côtes d’Espagne. Un des navires anglais attaque le vaisseau qui portait Muir ; c’est alors que le prisonnier prouve aux Espagnols ses geôliers qu’il n’était pas l’espion des Anglais : il s’arme, il combat, il reçoit plusieurs blessures graves, dont une au front qui le défigure, et il tombe sur le pont baigné dans son sang. La frégate ayant été obligée d’amener, Muir resta six jours prisonnier des Anglais sans être reconnu. Les Espagnols avaient dit aux soldats de Jervis, qui le savaient à bord et qui le cherchaient, que l’Anglais avait été tué pendant le combat et jeté à la mer. Soit crédulité, soit plutôt sympathie (Muir avait été reconnu par un chirurgien), les Anglais ne poussèrent pas plus loin