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sur les bords du fleuve, aux mêmes heures et aux mêmes ouvrages que ces misérables. Sheridan les visita et fut indigné d’une pareille barbarie. Sheridan dénonça ces infamies au parlement en déposant une pétition de Palmer. « Condamner des hommes à quatorze années de déportation ! s’écrie-t-il ; et pourquoi ? Pour avoir prêté un livre ! C’est vouloir pousser le peuple à la rébellion ! Si les ministres essayaient d’appliquer la loi écossaise à l’Angleterre (mais ils ne l’oseraient pas !), ils appelleraient sur leurs têtes le châtiment de la forfaiture et de la trahison. Je parle avec connaissance de cause, ajoute-t-il ; j’ai vu ces malheureuses victimes, je les ai visitées dans ces dégoûtantes prisons où on les a confondues avec le vulgaire des criminels. Ils ne sont plus chargés de fers, il est vrai, mais hier ils l’étaient encore ! Séparés l’un de l’autre, on leur a ôté la consolation des mutuels épanchemens. Il y a danger de sédition dans leur réunion ! a-t-on dit. Quelle terrible insurrection, en effet, que celle de deux hommes emprisonnés ! J’ai vu ces infortunés, et je m’en fais gloire, car, quels que soient les sentimens de mes adversaires, je serai toujours fier de prêter appui aux victimes de l’oppression. »

Fox, Adam, Grey, et le petit nombre de membres de la chambre des communes restés fidèles à la cause de la liberté, car l’apostasie de Burke et la peur avaient singulièrement réduit l’opposition, prirent chaudement la défense des proscrits. « Tout, dans ce procès et cette misérable affaire, s’écriait Fox, tout est monstrueux, tout révolte un ami de la justice et de l’humanité ! » « Si l’on a condamné M. Muir à quatorze ans de bannissement pour avoir prêté un livre de Payne, et c’est là le plus grand grief allégué contre lui, à quelle peine eût-on donc condamné M. Payne lui-même ? » disait M. Adam en présentant au parlement sa motion en faveur des réformistes écossais[1].

Pitt combattit la pétition de Sheridan et la motion de M. Adam, qui tendait à la révision des procès d’Écosse, avec toute la chaleur d’un homme nouvellement converti, avec l’animosité et le zèle odieux d’un renégat, disent encore aujourd’hui les réformistes. La raison de salut public est à peu près l’unique raison qu’il donne. Il n’a qu’un seul argument : la nécessité. « Doit-on être juste quand la justice est contraire au salut de l’état ? » répète-t-il à diverses reprises, et la chambre des communes, moins trente voix, vient en aide à de pareils argumens : pétition et motion, tout fut repoussé.

Le séjour de Palmer et de Muir sur les pontons fut assez pro-

  1. Séance du 23 janvier 1794.