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rêves de savant. « J’ai perdu toute ma joie en ce monde, s’écria-t-il avec douleur ; aucun homme ne me la rendra. » Il survécut peu de temps à son infortune, et ses derniers momens furent consacrés à la propagation de l’idée scientifique qu’il avait gardée toute sa vie dans le cœur. Il lui restait encore dix-huit cents manuscrits, il les légua à l’Université ; il lui légua aussi sa fortune, afin de donner chaque année un stipende à deux jeunes Islandais qui se dévoueraient à l’étude des antiquités du Nord, et de publier successivement ses manuscrits les plus importans.

Nous voici arrivés à la plus belle, à la plus féconde époque scientifique du Danemark. Alors Gram publie ses observations critiques sur l’histoire du Nord ; Schœnning écrit l’histoire ancienne de Norvége ; Schlegel raconte l’avènement au trône de la maison d’Oldenbourg. Holberg, ce voyageur insoucieux qui s’en alla faire le tour de l’Europe avec son sac d’étudiant sur l’épaule, ce poète charmant, pour qui les muses semblaient avoir assez fait en lui donnant une imagination si riche et une verve si comique, Holberg écrit avec un vrai savoir, avec un tact exquis, toute l’histoire de Danemark. Les commencemens de cette histoire laissent beaucoup à désirer sous le rapport de la critique ; mais une fois qu’on a passé l’époque primitive, l’époque confuse sur laquelle les savans se débattent encore, tous les faits sont parfaitement établis et fort bien narrés. Holberg possède un grand talent d’exposition. Il est à son aise sur le grand théâtre du monde, comme sur le théâtre dramatique où il a fait mouvoir ses personnages d’invention. On ne sent dans son travail ni effort ni embarras : son récit est clair, simple, parsemé de documens textuels, sobre de réflexions, et cependant l’auteur de Pierre Paars se trahit de temps à autre par une épigramme comique ou par une saillie. Avec ces défauts, qu’un travail plus sérieux et une critique plus sévère eussent pu faire disparaître, cette histoire de Holberg est encore la meilleure que possède le Danemark, sans en excepter celle de Mallet. Elle a été populaire dès son apparition, et tout ce qu’on a écrit depuis ne lui a rien fait perdre de sa première popularité.

Dans ce même siècle qui donna à la littérature du Nord un grand poète et un grand écrivain, on vit apparaître deux hommes qui ont plus fait dans le cours de leur vie pour l’histoire de Danemark que tous leurs prédécesseurs dans des siècles entiers ; c’est Langebek et Suhm : Langebek, cet homme d’une simplicité antique, d’une modestie sublime, d’une patience à toute épreuve, et Suhm, qui fut, en Danemark, le roi de la science, comme Goëthe a été en Allemagne, dans les derniers temps, le roi de la poésie.

Langebek était un pauvre théologien à qui Gram fit obtenir une place de 1,200 francs à la bibliothèque royale. Son amour pour l’étude l’empêcha de suivre la carrière à laquelle le vœu de ses parens l’appelait. Il devait être prêtre, il fut écrivain. Il commença dès l’âge de vingt ans ses recherches historiques, et il les poursuivit toute sa vie. En 1737, il publia un recueil périodique consacré spécialement à l’histoire, et ce recueil obtint le suffrage de tous les hommes instruits. Il continuait en même temps à rassembler les