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sur leur terre natale, et ils y sont restés. Peut-être ont-ils compris que les grands états du midi de l’Europe auraient toujours assez d’historiens, et que leur devoir à eux était de ne pas oublier l’humble contrée du Nord où ils avaient reçu le jour. Peut-être aussi qu’ils ont été entraînés dans leurs tentatives, soutenus dans leur travail par la difficulté même qu’ils y trouvaient, par la vague étendue des traditions qu’ils cherchaient à explorer et l’obscurité qui les enveloppe. Il y a un grand charme à s’en aller ainsi, à travers les temps anciens, chercher un fait qui doit servir de base à l’édifice des temps modernes, et plus l’obscurité est grande et le chemin pénible, plus aussi le but qu’on cherche dans le lointain offre d’attraits à celui qui croit l’avoir entrevu. L’antiquaire, dans ses explorations, ressemble au navigateur. Comme lui, il a pour mission de découvrir des parages parfois à peine indiqués, parfois totalement inconnus ; comme lui, il n’a souvent pour se guider dans ses longues nuits de voyageur qu’une lueur incertaine, un rayon fugitif ; comme lui, il est exposé à dévier de sa route, à se briser sur un écueil. Mais l’heure où le succès couronne sa persévérance, l’heure où il voit poindre l’aurore qui éclaire l’objet de ses découvertes, où il s’écrie : Terre ! terre ! est une heure de ravissement, au prix de laquelle il pourrait encore passer par les mêmes fatigues, s’exposer aux mêmes périls.

Quoi qu’il en soit des motifs qui ont porté les savans de Danemark à s’occuper presque exclusivement de leur pays, le fait est que peu de nations peuvent se vanter, comme celle-ci, d’avoir amassé autant de documens anciens, autant de traditions historiques, et cependant l’histoire primitive de Danemark n’a pas encore été faite, c’est-à-dire établie sur des bases certaines, et probablement elle ne le sera jamais. Le christianisme ne fut établi dans ce royaume que vers la fin du xe siècle[1]. Les cloîtres, ces premières archives de l’histoire, ces premiers refuges de la science, ne datent que du xie siècle. Pour décrire l’époque païenne, il ne reste que deux sortes de documens, les sagas islandaises et les monumens Scandinaves, c’est-à-dire les pierres servant aux assemblées du Thing, les autels de sacrifices, les pierres runiques, les tombeaux. Ces monumens sont moins nombreux ici qu’en Suède et en Norvége ; cependant il en existe encore une assez grande quantité, dispersés à travers la Seelande, la Jutlande, le Holstein, et les antiquaires les ont explorés avec zèle. Un archéologue en compte plus de quatre mille dans les diverses provinces de Danemark[2]. La terre de Leire, la demeure des vieux rois, est le sol classique de cette antiquité Scandinave. Ces monumens sont les derniers vestiges d’une époque barbare sur laquelle nous n’avons que de vagues traditions. Ce sont les témoins authentiques de ce qui se faisait dans les siècles passés. Ils peuvent dire, au savant qui les interroge, les mœurs, la religion, les coutumes des premiers habitans du Nord.

  1. Le premier roi de Danemark qui fut baptisé est Harald Blaatand (972-973). Il se passa encore plus d’un siècle avant que le christianisme devînt la religion générale du pays.
  2. Thorlacius, Bemœrkninger over de i Danemark endnu tilvœrende Hedenoldshœie.