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secret pour vivre. Les marchands emploient ainsi, et à bon marché, des ouvrières habiles ; mainte famille, vivant sobrement, chez qui pourtant on va prendre le thé, se soutient par les filles de la maison ; on les voit sans cesse tenant l’aiguille, mais elles ne sont pas assez riches pour porter ce qu’elles font ; quand elles ont brodé du tulle, elles le vendent pour acheter de la percale ; celle-là, fille de nobles aïeux, fière de son titre et de sa naissance, marque des mouchoirs ; celle-ci que vous admirez au bal si enjouée, si coquette et si légère, fait des fleurs artificielles et paie de son travail le pain de sa mère ; telle autre, un peu plus riche, cherche à gagner de quoi ajouter à sa toilette ; ces chapeaux tout faits, ces sachets brodés, qu’on voit aux étalages des boutiques, et que le passant marchande par désœuvrement, sont l’œuvre secrète, quelque fois pieuse, d’une main inconnue ; peu d’hommes consentiraient à ce métier, ils resteraient pauvres par orgueil en pareil cas ; peu de femmes s’y refusent, quand elles en ont besoin, et de celles qui le font, aucune n’en rougit. Il arrive qu’une jeune femme rencontre une amie d’enfance qui n’est pas riche et qui a besoin de quelque argent ; faute de pouvoir lui en prêter elle-même, elle lui dit sa ressource, l’encourage, lui cite des exemples, la mène chez le marchand, lui fait une petite clientelle ; trois mois après, l’amie est à son aise et rend à une autre le même service ; ces sortes de choses se passent tous les jours, personne n’en sait rien, et c’est pour le mieux ; car les bavards qui rougissent du travail trouveraient bientôt moyen de déshonorer ce qu’il y a au monde de plus honorable.

— Combien de temps, demanda Valentin, faut-il à peu près pour faire un coussin comme celui dont je vous parle, et combien gagne l’ouvrière ?

— Monsieur, répondit le garçon, pour faire un coussin comme celui-là, il faut deux mois, six semaines environ. L’ouvrière paie sa laine, bien entendu, par conséquent c’est autant de moins pour elle. La laine anglaise, belle, coûte 10 francs la livre ; le ponceau, le cerise, coûtent 15 francs. Pour ce coussin, il faut une livre et demie de laine, au plus, et il sera payé 40 ou 50 francs à l’habile ouvrière.

ix.

Quand Valentin, de retour au logis, se retrouva en face de sa causeuse, le secret qu’il venait d’apprendre produisit sur lui un effet inattendu. En pensant que Mme Delaunay avait mis six semaines à