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LES DEUX MAÎTRESSES.

launay, qui le reçut comme à l’ordinaire, et dont le visage n’exprima qu’un peu d’étonnement de le voir arriver si matin.

Rassuré d’abord par cet accueil, il parla quelque temps de choses indifférentes, puis, dominé par l’inquiétude, il demanda à la veuve si sa tapisserie était terminée. — Oui, répondit-elle. — Et où est-elle donc ? demanda-t-il. À cette question, Mme Delaunay se troubla et rougit. — Elle est chez le marchand, dit-elle assez vite ; puis, elle se reprit, et ajouta : Je l’ai donnée à monter ; on va me la rendre.

Si Valentin avait été surpris de reconnaître le coussin, il le fut encore davantage de voir la veuve se troubler lorsqu’il lui en parla. N’osant pourtant faire de nouvelles questions, de peur de se trahir, il sortit bientôt, et s’en fut chez la marquise. Mais cette visite lui en apprit encore moins ; quand il fut question de la causeuse, Mme de Parnes, pour toute réponse, fit un léger signe de tête en souriant, comme pour dire : Je suis charmée qu’elle vous plaise.

Notre étourdi rentra donc chez lui, moins inquiet, il est vrai, qu’il n’en était sorti, mais croyant presque avoir fait un rêve. Quel mystère ou quel caprice du hasard cachait cet envoi singulier ? « L’une fait un coussin, et l’autre me le donne ; celle-là passe un mois à travailler, et quand son ouvrage est fini, celle-ci s’en trouve propriétaire ; ces deux femmes ne se sont jamais vues, et elles s’entendent pour me jouer un tour dont elles ne semblent pas se douter. » Il y avait assurément de quoi se torturer l’esprit ; aussi le jeune homme cherchait-il de cent manières différentes la clé de l’énigme qui le tourmentait.

En examinant le coussin, il trouva l’adresse du marchand qui l’avait vendu. Sur un petit morceau de papier collé dans un coin, était écrit : Au Père de Famille, rue Dauphine.

Dès que Valentin eut lu ces mots, il se vit sûr de parvenir à la vérité. Il courut au magasin du Père de Famille ; il demanda si le matin même on n’avait pas vendu à une dame un coussin en tapisserie qu’il désigna et qu’on reconnut. Aux questions qu’il fit ensuite pour savoir qui avait fait ce coussin et d’où il venait, on ne répondit qu’avec restriction ; on ne connaissait pas l’ouvrière ; il y avait dans le magasin beaucoup d’objets de ce genre ; enfin, on ne voulait rien dire.

Malgré les réticences, Valentin eut bientôt saisi dans les réponses du garçon qu’il interrogeait, un mystère qu’il ne soupçonnait pas, et que bien d’autres que lui ignorent : c’est qu’il y a à Paris un grand nombre de femmes, de demoiselles pauvres, qui, tout en ayant dans le monde un rang convenable et quelquefois distingué, travaillent en