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LES DEUX MAÎTRESSES.

la marquise ? Est-ce leur faute si le hasard m’a jeté sur leur route, si je les ai approchées, si elles m’ont permis de les aimer ? Laquelle choisirais-je sans être injuste ? En quoi celle-là aurait-elle mérité plus que celle-ci d’être préférée ou abandonnée ? Quand Mme Delaunay me dit que son existence entière m’appartient, que voulez-vous donc que je réponde ? Faut-il la repousser, la désabuser, et lui laisser le découragement et le chagrin ? Quand Mme de Parnes est au piano, et qu’assis derrière elle, je la vois se livrer à la noble inspiration de son cœur ; quand son esprit élève le mien, m’exalte et me fait mieux goûter par la sympathie les plus exquises jouissances de l’intelligence, faut-il que je lui dise qu’elle se trompe et qu’un si doux plaisir est coupable ? Faut-il que je change en haine ou en mépris le souvenir de ces heures délicieuses ? Non, mon ami, je mentirais en disant à l’une des deux que je ne l’aime plus ou que je ne l’ai point aimée ; j’aurais plutôt le courage de les perdre ensemble, que celui de choisir entre elles. »

Vous voyez, madame, que notre étourdi faisait comme font tous les hommes ; ne pouvant se corriger de sa folie, il tentait de lui donner l’apparence de la raison. Cependant il y avait de certains jours où son cœur se refusait, malgré lui, au double rôle qu’il soutenait. Il tâchait de troubler le moins possible le repos de Mme Delaunay ; mais la fierté de la marquise eut plus d’un caprice à supporter. « Cette femme n’a que de l’esprit et de l’orgueil, » me disait-il d’elle quelquefois. Il arrivait aussi qu’en quittant le salon de Mme de Parnes, la naïveté de la veuve le faisait sourire, et qu’il trouvait qu’à son tour elle avait trop peu d’orgueil et d’esprit. Il se plaignait de manquer de liberté. Tantôt une boutade lui faisait renoncer à un rendez-vous ; il prenait un livre et s’en allait dîner seul à la campagne. Tantôt il maudissait le hasard qui s’opposait à une entrevue qu’il demandait. Mme Delaunay était, au fond du cœur, celle qu’il préférait ; mais il n’en savait rien lui-même, et cette singulière incertitude aurait peut-être duré long-temps, si une circonstance, légère en apparence, ne l’eût éclairé tout à coup sur ses véritables sentimens. On était au mois de juin, et les soirées au jardin étaient délicieuses. La marquise, en s’asseyant sur un banc de bois près de la cascade, s’avisa un jour de le trouver dur.

— Je vous ferai cadeau d’un coussin, dit-elle à Valentin. Le lendemain matin, en effet, arriva une causeuse élégante, accompagnée d’un beau coussin en tapisserie, de la part de Mme de Parnes.