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launay, devant sa table, travaillait seule en l’attendant ; il s’asseoit près d’elle ; elle le regarde, lui prend la main et lui dit qu’elle le remercie de l’aimer encore. Une seule lampe éclaire faiblement la modeste chambrette ; mais sous cette lampe est un visage ami, tranquille et bienveillant ; il n’y a plus là ni témoins empressés, ni admiration, ni triomphe ; mais Valentin fait plus que de ne pas regretter le monde, il l’oublie ; la vieille mère arrive, s’asseoit dans sa bergère, et il faut écouter jusqu’à dix heures les histoires du temps passé, caresser le petit chien qui gronde, rallumer la lampe qui s’éteint ; quelquefois c’est un roman nouveau qu’il faut avoir le courage de lire ; Valentin laisse tomber le livre pour effleurer en le ramassant le petit pied de sa maîtresse ; quelquefois c’est un piquet à deux sous la fiche qu’il faut faire avec la bonne dame, et avoir soin de n’avoir pas trop beau jeu ; en sortant de là, le jeune homme revient à pied ; il a soupé hier avec du vin de Champagne, en fredonnant une contredanse ; il soupe ce soir avec une tasse de lait, en faisant quelques vers pour son amie. Pendant ce temps-là, la marquise est furieuse qu’on lui ait manqué de parole ; un grand laquais poudré apporte un billet plein de tendres reproches et sentant le musc ; le billet est décacheté, la fenêtre ouverte, le temps est beau, Mme de Parnes va venir ; voilà notre étourdi grand seigneur ; ainsi, toujours différent de lui-même, il trouvait moyen d’être vrai en n’étant jamais sincère, et l’amant de la marquise n’était pas celui de la veuve.

« Et pourquoi choisir ? me disait-il un jour qu’en nous promenant il essayait de se justifier. Pourquoi cette nécessité d’aimer d’une manière exclusive ? Blâmerait-on un homme de mon âge d’être amoureux de Mme de Parnes ? N’est-elle pas admirée, enviée ? Ne vante-t-on pas son esprit et ses charmes ? La raison même se passionne pour elle. D’une autre part, quel reproche ferait-on à celui que la bonté, la tendresse, la candeur de Mme Delaunay auraient touché ? N’est-elle pas digne de faire la joie et le bonheur d’un homme ? Moins belle, ne serait-elle pas une amie précieuse, et telle qu’elle est, y a-t-il au monde une plus charmante maîtresse ! En quoi donc suis-je coupable d’aimer ces deux femmes, si chacune d’elles mérite qu’on l’aime ? Et s’il est vrai que je sois assez heureux pour compter pour quelque chose dans leur vie, pourquoi ne pourrais-je rendre l’une heureuse qu’en faisant le malheur de l’autre ? Pourquoi le doux sourire que ma présence fait éclore quelquefois sur les lèvres de ma belle veuve devrait-il être acheté au prix d’une larme versée par