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LES DEUX MAÎTRESSES.

vous comprendrez et vous excuserez peut-être sa conduite, malgré ce qu’elle a de justement blâmable. Le double amour qu’il ressentait, ou croyait ressentir, était, pour ainsi dire, l’image de sa vie entière. Ayant toujours cherché les extrêmes, goûtant les jouissances du pauvre et celles du riche en même temps, il trouvait, près de ces deux femmes, le contraste qui lui plaisait, et il était réellement riche et pauvre dans la même journée. Si, de sept à huit heures, au soleil couchant, deux beaux chevaux gris entraient au petit trot dans l’avenue des Champs-Élisées, traînant doucement derrière eux un coupé tendu de soie comme un boudoir, vous eussiez pu voir au fond de la voiture une fraîche et coquette figure cachée sous une grande capote, et souriant à un jeune homme nonchalamment étendu près d’elle ; c’étaient Valentin et Mme de Parnes qui prenaient l’air après dîner. Si le matin, au lever du soleil, le hasard vous avait menée près du joli bois de Romainville, vous eussiez pu y rencontrer sous le vert bosquet d’une guinguette deux amoureux se parlant à voix basse, ou lisant ensemble La Fontaine ; c’étaient Valentin et Mme Delaunay qui venaient de marcher dans la rosée. Étiez-vous ce soir d’un grand bal à l’ambassade d’Autriche ? Avez-vous vu au milieu d’un cercle brillant de jeunes femmes une beauté plus fière, plus courtisée, plus dédaigneuse que toutes les autres ? Cette tête charmante, coiffée d’un turban doré, qui se balance avec grâce comme une rose bercée par le zéphir, c’est la jeune marquise que la foule admire, que le triomphe embellit, et qui pourtant semble rêver. Non loin de là, appuyé contre une colonne, Valentin la regarde ; personne ne connaît leur secret, personne n’interprète ce coup d’œil, et ne devine la joie de l’amant ; l’éclat des lustres, le bruit de la musique, les murmures de la foule, le parfum des fleurs, tout le pénètre, le transporte, et l’image radieuse de sa belle maîtresse enivre ses yeux éblouis. Il doute presque lui-même de son bonheur, et qu’un si rare trésor lui appartienne ; il entend les hommes dire autour de lui : Quel éclat ! quel sourire ! quelle femme ! et il se répète tout bas ces paroles ; l’heure du souper arrive ; un jeune officier rougit de plaisir en présentant sa main à la marquise ; on l’entoure, on la suit, chacun veut s’en approcher et brigue la faveur d’un mot tombé de ses lèvres ; c’est alors qu’elle passe près de Valentin, et lui dit à l’oreille : À demain. Que de jouissances dans un mot pareil ! Demain cependant, à la nuit tombante, le jeune homme monte à tâtons un escalier sans lumière ; il arrive à grand’peine au troisième étage, et frappe doucement à une petite porte ; elle s’est ouverte, il entre ; Mme De-