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LES DEUX MAÎTRESSES.

vi.

Il n’y avait pas plus de quinze jours de cela, lorsque Valentin, en sortant de chez Mme Delaunay, oublia son mouchoir sur un fauteuil. Quand le jeune homme fut parti, Mme Delaunay ramassa le mouchoir, et ayant, par hasard, regardé la marque, elle trouva un I et un P très délicatement brodés. Ce n’était pas le chiffre de Valentin ; à qui donc appartenait ce mouchoir ? Le nom d’Isabelle de Parnes n’avait jamais été prononcé rue du Plat-d’Étain, et la veuve, par conséquent, se perdait en vaines conjectures. Elle retournait le mouchoir dans tous les sens, regardait un coin, puis un autre, comme si elle eût espéré découvrir quelque part le véritable nom du propriétaire. Et pourquoi, me demanderez-vous, tant de curiosité pour une chose si simple ? On emprunte tous les jours un mouchoir à un ami, et on le perd ; cela va sans dire. Qu’y a-t-il là d’extraordinaire ? Cependant Mme Delaunay examinait de près la fine batiste, et y trouvait un air féminin qui lui faisait hocher la tête. Elle se connaissait en broderie, et le dessin lui paraissait bien riche pour sortir de l’armoire d’un garçon. Un indice imprévu lui découvrit la vérité. Aux plis du mouchoir, elle reconnut qu’un des coins avait été noué pour servir de bourse, et cette manière de serrer son argent n’appartient, vous le savez, qu’aux femmes. Elle pâlit à cette découverte, et après avoir, pendant quelque temps, fixé sur le mouchoir des regards pensifs, elle fut obligée de s’en servir pour essuyer une larme qui coulait sur sa joue.

Une larme ! direz-vous ; déjà une larme ! Hélas ! oui, madame, elle pleurait. Qu’était il donc arrivé ? Je vais vous le dire ; mais il faut pour cela revenir un instant sur nos pas.

Il faut savoir que, le surlendemain du bal, Valentin était venu chez Mme Delaunay. La mère lui ouvrit la porte et lui répondit que sa fille était sortie. Mme Delaunay, là-dessus, avait écrit une longue lettre au jeune homme ; elle lui rappelait leur dernier entretien, elle suppliait de ne plus venir la voir. Elle comptait sur sa parole, sur son honneur et sur son amitié. Elle ne se montrait pas offensée, et ne parlait pas du galop. Bref, Valentin lut cette lettre d’un bout à l’autre sans y trouver rien de trop ni de trop peu. Il se sentit touché, et il eût obéi, si le dernier mot n’y eût pas été. Ce dernier mot, il est vrai, avait été effacé, mais si légèrement, qu’on ne l’en voyait