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LES DEUX MAÎTRESSES.

nay, après tout, n’avait pas été bien rigide. Elle avait doucement retiré sa main, et s’en était allée repasser sa robe. En pensant à cette robe, Valentin pensa au petit bal ; c’était le soir même ; il se promit d’y aller.

Tout en se promenant par la chambre, et tout en faisant sa toilette, son imagination s’exaltait. C’était la veuve qu’il allait voir, c’était à elle qu’il songeait. Il vit sur sa table un petit portefeuille assez laid, qu’il avait gagné dans une loterie. Sur la couverture de ce portefeuille était un méchant paysage à l’aquarelle, sous verre, et assez bien monté. Il remplaça adroitement ce paysage par le portrait de Mme de Parnes ; je me trompe, je veux dire de Mme Delaunay. Cela fait, il mit ce portefeuille en poche, se promettant de le tirer à propos, et de le faire voir à sa future conquête. Que dira-t-elle ? se demanda-t-il. Et que répondrai-je ? se demanda-t-il encore. Tout en ruminant entre ses dents quelques-unes de ces phrases préparées d’avance qu’on apprend par cœur, et qu’on ne dit jamais, il lui vint l’idée beaucoup plus simple d’écrire une déclaration en forme, et de la donner à la veuve.

Le voilà écrivant ; quatre pages se remplissent. Tout le monde sait combien le cœur s’émeut durant ces instans où l’on cède à la tentation de fixer sur le papier un sentiment peut-être fugitif ; il est doux, il est dangereux, madame, d’oser dire qu’on aime ; la première page qu’écrivit Valentin était un peu froide et beaucoup trop lisible. Les virgules s’y trouvaient à leur place, les alinéas bien marqués, toutes choses qui prouvent peu d’amour. La seconde page était déjà moins correcte, les lignes se pressaient à la troisième, et la quatrième, il faut en convenir, était pleine de fautes d’orthographe.

Comment vous dire l’étrange pensée qui s’empara de Valentin, tandis qu’il cachetait sa lettre ? C’était pour la veuve qu’il l’avait écrite ; c’était à elle qu’il parlait de son amour, de son baiser du matin, de ses craintes et de ses désirs ; au moment d’y mettre l’adresse, il s’aperçut, en se relisant, qu’aucun détail particulier ne se trouvait dans cette lettre, et il ne put s’empêcher de sourire à l’idée de l’envoyer à Mme de Parnes. Peut-être y eut-il, à son insu, un motif caché qui le porta à exécuter cette idée bizarre. Il se sentait, au fond du cœur, incapable d’écrire une pareille lettre pour la marquise, et son cœur lui disait en même temps que, lorsqu’il voudrait, il en pourrait récrire une autre à Mme Delaunay. Il profita donc de l’occasion, et envoya, sans plus tarder, la déclaration faite pour la veuve à l’hôtel de la Chaussée-d’Antin.