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d’effacer et de tâtonner, il arriva à l’une de ces ressemblances lointaines dont la fantaisie se contente quelquefois plutôt que d’un portrait trop vrai. Dès qu’il eut obtenu cette esquisse, il s’arrêta ; à laquelle des deux ressemblait-elle davantage ? Il ne pouvait lui-même en décider ; ce fut tantôt à l’une et tantôt à l’autre, selon le caprice de sa rêverie. Que de mystères dans le destin ! se disait-il ; qui sait, malgré les apparences, laquelle de ces deux femmes est la plus heureuse ? Est-ce la plus riche ou la plus belle ? Est-ce celle qui sera le plus aimée ? Non ; c’est celle qui aimera le mieux. Que feraient-elles si demain matin elles s’éveillaient l’une à la place de l’autre ? Valentin se souvint du dormeur éveillé, et sans s’apercevoir qu’il rêvait lui-même en plein jour, il fit mille châteaux en Espagne. Il se promit d’aller, dès le lendemain, faire ses deux visites, et d’emporter son esquisse pour en voir les défauts ; en même temps il ajoutait un coup de crayon, une boucle de cheveux, un pli à la robe ; les yeux étaient plus grands, le contour plus délicat. Il pensa de nouveau au pied, puis à la main, puis aux bras blancs ; il pensa encore à mille autres choses ; enfin il devint amoureux.

iii.

Devenir amoureux n’est pas le difficile, c’est de savoir dire qu’on l’est. Valentin, muni de son esquisse, sortit de bonne heure le lendemain. Il commença par la marquise. Un heureux hasard, plus rare que l’on ne pense, voulut qu’il la trouvât ce jour-là telle qu’il l’avait rêvée la veille. On était alors au mois de juillet. Sur un banc de bois, garni de frais coussins, sous un beau chèvrefeuille en fleurs, les bras nus, vêtue d’un peignoir, ainsi pouvait paraître une nymphe aux yeux d’un berger de Virgile ; ainsi parut aux yeux du jeune homme la blanche Isabelle, marquise de Parnes. Elle le salua d’un de ces doux sourires qui coûtent si peu quand on a de belles dents, et lui montra assez nonchalamment un tabouret fort éloigné d’elle. Au lieu de s’asseoir sur ce tabouret, il le prit pour se rapprocher ; et comme il cherchait où se mettre : « Où allez-vous donc ? » demanda la marquise.

Valentin pensa que sa tête s’était échauffée outre mesure, et que la réalité indocile allait moins vite que le désir. Il s’arrêta, et, replaçant le tabouret un peu plus loin encore qu’il n’était d’abord, s’assit, ne sachant trop quoi dire. Il faut savoir qu’un grand laquais,