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LES DEUX MAÎTRESSES.

feuille ; passablement, à la seconde, et, à la troisième, pas du tout. Ainsi faisait Valentin de ses journées ; mais le passablement n’y était pas, car il ne pouvait le souffrir.

Pour vous le faire mieux connaître, il faut vous dire un trait de son enfance. Valentin couchait, à dix ou douze ans, dans un petit cabinet vitré, derrière la chambre de sa mère. Dans ce cabinet d’assez triste apparence, et encombré d’armoires poudreuses, se trouvait, entr’autres nippes, un vieux portrait avec un grand cadre doré. Quand, par une belle matinée, le soleil donnait sur ce portrait, l’enfant, à genoux sur son lit, s’en approchait avec délices. Tandis qu’on le croyait endormi, en attendant que l’heure du maître arrivât, il restait parfois des heures entières le front posé sur l’angle du cadre ; les rayons de lumière, frappant sur les dorures, l’entouraient d’une sorte d’auréole où nageait son regard ébloui. Dans cette posture, il faisait mille rêves ; une extase bizarre s’emparait de lui. Plus la clarté devenait vive, et plus son cœur s’épanouissait. Quand il fallait enfin détourner les yeux, fatigués de l’éclat de ce spectacle, il fermait alors ses paupières, et suivait avec curiosité la dégradation des teintes nuancées dans cette tache rougeâtre qui reste devant nous quand nous fixons trop long-temps la lumière ; puis il revenait à son cadre, et recommençait de plus belle. Ce fut là, m’a-t-il dit lui-même, qu’il prit un goût passionné pour l’or et le soleil, deux excellentes choses, du reste.

Ses premiers pas dans la vie furent guidés par l’instinct de la passion native. Au collége, il ne se lia qu’avec des enfans plus riches que lui, non par orgueil, mais par goût. Précoce d’esprit dans ses études, l’amour-propre le poussait moins qu’un certain besoin de distinction. Il lui arrivait de pleurer au milieu de la classe, quand il n’avait pas, le samedi, sa place au banc d’honneur. Il achevait ses humanités et travaillait avec ardeur, lorsqu’une dame, amie de sa mère, lui fit cadeau d’une belle turquoise ; au lieu d’écouter la leçon, il regardait sa bague reluire à son doigt. C’était encore l’amour de l’or tel que peut le ressentir un enfant curieux. Dès que l’enfant fut homme, ce dangereux penchant porta bientôt ses fruits. À peine eut-il sa liberté, qu’il se jeta, sans réflexion, dans tous les travers d’un fils de famille. Né d’humeur gaie, insouciant de l’avenir, l’idée qu’il était pauvre ne lui venait pas, et il ne semblait pas s’en douter. Le monde le lui fit comprendre. Le nom qu’il portait lui permettait de traiter en égaux des jeunes gens qui avaient sur lui l’avantage de la fortune. Admis par eux, comment les imiter ? Les