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PUBLICISTES DE LA FRANCE.

injustes, étant plus libres, ou seraient plus tôt déconsidérées si elles n’avaient pas su se montrer dignes de la liberté. La presse ne serait accessible qu’aux hommes sérieux et instruits, qui peuvent éclairer le peuple sans l’enivrer. Quant à ceux qui n’ont que la verve facile des injures, il faudrait leur en fermer l’entrée par des lois vigoureuses, parce que l’injure ne peut pas être un droit dans un pays et à une époque où elle a cessé d’être dans les mœurs.

ii.
CARREL HOMME PRIVÉ.

Le caractère de l’homme est à la fois la cause et l’effet de sa situation ; cela est vrai, surtout du caractère de Carrel. Son ardeur presque militaire avait fait sa situation, et par une réciprocité fatale, sa situation nourrissait son inquiétude. Je ne puis pas trop m’étonner qu’avec une si grande agitation il ait su conserver devant le public une si grande suite, et qu’ayant l’humeur la plus mobile, il ait trouvé moyen de paraître au dehors un homme immuable et tout d’une pièce. C’est que, dans Carrel, la faculté dominante, c’était la volonté. L’esprit même, et le sien était des plus rares, ne venait qu’à la suite ; et s’il avait ses droits et son tour, c’était seulement ou avec la permission ou dans le repos de la volonté. De là cette générosité de Carrel, cette fidélité aux engagemens, ce respect de la parole donnée, cette loyauté dans des proportions héroïques. C’étaient des fruits d’une bonne et noble nature, mais la volonté y avait autant de part que l’instinct. Carrel y mettait plus de sang-froid que d’abandon. C’était son enjeu particulier dans ce grand jeu qu’on appelle la vie. D’autres y engagent de l’intrigue, de la ruse, du mensonge flatteur, et de la vérité seulement quand elle rapporte. Mais de même qu’il y a du calcul dans ces défauts-là, il y en avait un peu dans les vertus de Carrel. Il était trop supérieur pour que ses actions lui échappassent ; il les gouvernait encore, et il en modifiait l’effet, même quand elles ne semblaient plus lui appartenir, et qu’elles étaient déjà livrées au jugement des hommes. Les vertus des hommes obscurs sont des mouvemens involontaires, quelquefois des incapacités ; et cette comparaison banale entre la violette et la vertu peut signifier que la vertu d’un homme obscur ne sait pas le parfum qu’elle exhale. Les vertus des hommes supérieurs ne sont point naïves, parce qu’étant trahies, en quelque sorte, et dénoncées par leurs talens, elles attirent les regards et provoquent des jugemens