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LE LÉZARD DE SAINT-OMER.

de tout ce qui s’y était passé ; on mit d’autant plus d’empressement à venir le lui apprendre qu’on jouissait d’avance de sa confusion. On ne réussit pourtant qu’à exciter sa colère : il traita tous les moines de dupes et d’imbéciles, et finit par déclarer que, si on le lui permettait, il passerait la nuit entière dans ce lieu où en plein jour ils n’osaient demeurer.

Sa demande transmise à l’abbé, et accompagnée de commentaires charitables, fut accordée avec une facilité sur laquelle lui-même n’avait peut-être pas compté. Quoi qu’il en soit, il fit bonne contenance, et quand le soir on l’alla chercher à sa cellule pour le conduire au lieu où il devait passer la nuit, on le trouva prêt à partir, son bréviaire sous le bras et sa lampe à la main. Plusieurs moines l’accompagnèrent jusqu’au seuil, dans l’espoir de surprendre sur son visage quelque signe de faiblesse ; mais ils n’y virent guère que la pâleur accoutumée.

L’abbé, qui arriva au moment où la porte allait se refermer, paraissait beaucoup plus ému ; il n’avait voulu qu’humilier un présomptueux, et non jeter dans la gueule du loup un des membres du troupeau confié à sa garde. Jusqu’au dernier moment il avait espéré que frère Anselme demanderait à être relevé d’un engagement téméraire, et il fut aussi surpris qu’affligé de son obstination.

Que faire cependant ? Il était affreux sans doute de laisser un chrétien, un frère, ainsi exposé aux attaques d’un ennemi inconnu, de l’ennemi du genre humain peut-être ! D’un autre côté, retirer la permission accordée, n’était-ce pas se faire soupçonner de caprice ou s’avouer coupable de précipitation ? Or, tout ce qui pouvait porter atteinte à la considération du chef, ne devait-il pas tendre à relâcher les liens de la discipline et tourner en définitive au détriment de la communauté, dont les intérêts, cependant, devaient être préférés à ceux d’un seul homme ?

Après avoir bien pesé tous les inconvéniens, l’abbé prit le parti de laisser frère Anselme dans sa prison volontaire, mais de se tenir prêt à lui porter secours au besoin.

Personne ne pouvait prévoir si ce serait aux armes spirituelles ou aux armes temporelles qu’il faudrait avoir recours ; aussi en même temps qu’on préparait la croix, l’eau bénite, le formulaire pour les exorcismes, on mettait en réquisition les fourches et les serpes du jardinier. Tout cela fut apporté dans la pièce la plus voisine de la dépense, où l’abbé vint s’installer bientôt avec deux des anciens du couvent et quatre vigoureux frères-lais. Pour surcroît de précau-