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digieusement lu, mais sans choix, ou plutôt en choisissant fort mal le sujet de ses lectures. La plupart de ses citations étaient prises d’écrivains obscurs, justement laissés en oubli, et s’il lui arrivait de citer un auteur connu, c’était pour quelque fait au moins suspect, pour quelque opinion extravagante.

Ce n’était pas seulement le merveilleux qu’il aimait (je n’oserais lui en faire un reproche) ; mais tout ce qui était invraisemblable, contraire aux idées reçues, ou inconciliable avec les faits les mieux observés, avait pour lui un attrait particulier.

J’avais passé rapidement sur toute la partie de la collection relative aux rêveries des illuminés, sur les histoires des revenans, sur les signes annonçant la mort de grands personnages ; j’avais sauté à pieds joints sur les nombreux extraits concernant les dragons, les chimères, les basilics, pour arriver aux relations imprimées des ravages lamentables commis par la bête du Gévaudan, et ne trouvant pas parmi toutes les différentes versions, la seule véritable, celle qui attribue ces désastres réellement effroyables, aux loups qu’un hiver prolongé chassait en grand nombre des montagnes, j’avais déjà commencé à replacer dans leur carton toutes les pièces relatives aux animaux, lorsqu’une des dernières attira mes yeux par son titre et me reporta aussitôt aux jours de mon enfance.

Ce n’était rien moins, en effet, que la fameuse légende qui, trente ans auparavant, m’avait été promise par le barbier. Je regrette encore aujourd’hui de ne l’avoir pas entendue de la bouche du vieil homme ; elle aurait été, j’en suis sûr, mieux contée. Telle qu’elle était cependant, je dus m’en contenter, et il faudra que le lecteur fasse de même, car je ne changerai rien au récit de l’auteur inconnu. La seule liberté que j’aie prise avec son manuscrit a été de supprimer un long préambule dans lequel il se propose d’établir qu’il faut, ou admettre la vérité de son histoire, ou rejeter la plupart de celles qu’on admet sur la foi de Pline et des naturalistes anciens. Il cite surtout, comme offrant une grande analogie avec l’évènement qu’il va raconter, l’histoire du poulpe monstrueux dont Pline a parlé au chapitre xxx de son neuvième livre. On sait que ce poulpe, sortant chaque nuit de la mer, franchissait de hautes palissades pour aller dérober les salaisons des habitans de Carteia, et qu’enfin surpris un jour, lorsqu’il regagnait son gîte, il résista long-temps aux attaques des chiens qui l’avaient éventé et de plusieurs hommes armés de tridens.

Les deux histoires peuvent-elles être, en effet, assimilées ? C’est ce dont le lecteur va juger.