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LE LÉZARD DE SAINT-OMER.

Un jour cependant que je répétais en présence du barbier de mon père cette question à laquelle je n’attendais plus de réponse. — Ce n’est pas à Renotte qu’il faut faire de pareilles demandes, dit le petit homme, qui était très fier des connaissances qu’il avait acquises en faisant son tour de France, et s’estimait fort supérieur aux gens qui n’avaient pas voyagé ; que peut-on savoir quand on n’a jamais perdu de vue le clocher de sa paroisse ? Pour moi, j’ai vécu à Saint-Omer et j’ai vu cent fois le lézard et le crapaud dont vous parlez ; ils sont suspendus l’un et l’autre aux voûtes de la cathédrale.

— Vous les avez vus !

— Oui, et ce sont de furieux animaux, je vous en réponds ; le lézard a la tête plus longue que ma boîte à violon ; pour le crapaud, il tiendrait à peine sous un cuvier. Leur histoire est connue de tout le monde dans le pays, et je vous la conterai un jour que je serai moins pressé.

Ce jour ne vint jamais ; le dimanche suivant, le pauvre barbier, revenant d’une guinguette hors barrière, la tête un peu troublée et les jambes chancelantes, se laissa choir dans un fossé et se noya.

Depuis ce temps j’ai trouvé bien des gens qui faisaient usage du dicton de ma bonne Renotte, et, comme elle, sans rien connaître de l’histoire à laquelle il fait allusion.

Quelques-uns, il est vrai, lorsque je les interrogeai à ce sujet, au lieu de confesser simplement leur ignorance, affirmèrent sans hésiter que les deux animaux étaient les compagnons du bienheureux Omer, comme un cochon l’avait été de saint Antoine, et qu’ils habitaient avec lui le fond d’une affreuse caverne ; mais cette version ne s’accordait point avec ce que j’avais appris du barbier, et tout prouvait d’ailleurs que c’était une explication improvisée.

La légende du crapaud et du lézard de Saint-Omer avait cessé depuis long-temps d’exciter ma curiosité lorsqu’un double hasard me la vint fournir, et d’une manière beaucoup plus complète que je n’aurais jamais pu l’espérer.

Un de mes amis, qui faisait des recherches pour une histoire des sociétés secrètes au xviiie siècle, me fit voir un lot de papiers qu’il venait d’acheter, et où, parmi beaucoup de pièces relatives à la secte des illuminés, se trouvaient quelques lettres originales de Cagliostro.

La collection était nombreuse, soigneusement arrangée, et d’ailleurs formée des plus étranges matériaux. L’homme qui les avait réunis, et qui presque toujours y avait joint ses commentaires, était évidemment né dans une classe élevée de la société. Il avait dû recevoir ce qu’on appelait autrefois une bonne éducation, et il avait pro-