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REVUE DES DEUX MONDES.

Et quand je pense aux lieux où j’ai risqué ma vie,
J’y crois voir à ma place un visage étranger.
Muse, sois donc sans crainte ; au souffle qui t’inspire
Nous pouvons sans péril tous deux nous confier.
Il est doux de pleurer, il est doux de sourire
Au souvenir des maux qu’on pourrait oublier.

LA MUSE.

Comme une mère vigilante
Au berceau d’un fils bien-aimé,
Ainsi je me penche tremblante
Sur ce cœur qui m’était fermé.
Parle, ami, — ma lyre attentive
D’une note faible et plaintive
Suit déjà l’accent de ta voix ;
Et dans un rayon de lumière,
Comme une vision légère,
Passent les ombres d’autrefois.

LE POÈTE.

Jours de travail ! seuls jours où j’ai vécu !
Ô trois fois chère solitude !
Dieu soit loué, j’y suis donc revenu,
À ce vieux cabinet d’étude !
Pauvre réduit, murs tant de fois déserts,
Fauteuils poudreux, lampe fidèle,
Ô mon palais, mon petit univers,
Et toi, Muse, ô jeune immortelle,
Dieu soit loué, nous allons donc chanter !
Oui, je veux vous ouvrir mon ame.
Vous saurez tout, et je vais vous conter
Le mal que peut faire une femme ;
Car c’en est une, ô mes pauvres amis,
(Hélas ! vous le saviez peut-être)
C’est une femme à qui je fus soumis
Comme le serf l’est à son maître.
Joug détesté ! c’est par là que mon cœur
Perdit sa force et sa jeunesse —