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PUBLICISTES DE LA FRANCE.

que chef ne se recommandant que par des succès de plume ou de tribune. Que de gens, lassés des querelles sur la forme du gouvernement, incrédules même aux admirables apologies de la forme américaine, quittant l’ombre pour la chose, se rangèrent sous cette bannière du droit commun, que Carrel avait levée sur toutes les fautes et sur toutes les ruines, même sur celles de ses théories républicaines ! Il lui en venait de toutes parts des témoignages d’adhésion qui parurent un moment lui suffire, et je le vis se résignant à être, pour un temps indéterminé, le premier écrivain spéculatif de son pays. Mais des fautes où tout le monde eut sa part l’eurent bientôt refroidi. Ce fut un rude coup. Carrel avait foi dans la politique du droit commun : il y avait cru plus fortement peut-être qu’à ses théories républicaines précipitamment arborées, et dans un accès d’inquiétude plutôt qu’après un sûr et paisible regard jeté sur les choses. Après celles-ci, où l’honneur le soutenait contre les doutes croissans, il fallait donc encore douter de celle-là ! Carrel eut les deux douleurs à la fois.

Les amnisties honorent les gouvernemens ; mais elles ne réparent pas toutes les brèches qui ont été faites au grand principe de la réciprocité des garanties. C’est de la modération après le danger, moins belle et de moins bon exemple peut-être que la modération dans le danger. Il serait stupide de contester à un gouvernement le droit de se défendre. S’il est attaqué dans la rue, il doit repousser la force par la force ; mais s’il n’est que menacé sourdement dans des conciliabules, qu’il se contente de dire tout haut qu’il sait tout et qu’il est prêt. Il aura pour lui le pays tout entier, s’il le prend à témoin qu’il a respecté la liberté des citoyens jusqu’au moment de l’abus, et que les pensées ont pu lui être suspectes, sans que les personnes eussent à souffrir d’autre contrainte qu’une surveillance annoncée tout haut, et qui devient une sorte d’invitation à tous les honnêtes gens à s’y associer. Là s’arrête son droit dans un pays véritablement libre. Au-delà, tout est plein de périls et de hasards. La colère donne aux actes préventifs l’air de vengeances civiles. On ouvre carrière aux subalternes zélés, cette espèce violente et déclamatoire, pour qui les prisons ne sont jamais assez larges, ni les lois assez impitoyables. Nous l’avons vu à une époque déjà éloignée, et, dans beaucoup de choses, oubliée. Qu’elle le soit de plus en plus, c’est à merveille : mais rappelons-en, dans l’occasion, tout ce qui peut contribuer à remettre en vigueur les idées de droit commun.

Malheureusement le respect du droit commun n’était pas plus du côté