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eu à composer avec ces faiblesses que chaque parti trouve dans son sein, et qu’il va trop souvent rechercher dans les rangs ennemis pour s’en faire des armes, au risque de se blesser en y touchant.

Le bon sens provincial aimait à leur commettre le soin de contenir les essais aventureux et les profusions où pouvait entraîner l’entretien d’une armée nombreuse. Le parti doctrinaire était naturellement appelé à devenir centre et directeur d’une formidable opposition départementale contre les exigences et les influences parisiennes. Ce rôle avait bien ses inconvéniens, son côté mesquin et peu politique peut-être ; mais le principe en était bon, et le talent joint à la droiture pouvait l’élever jusqu’à la hauteur d’une véritable mission sociale. Sans songer à se ménager avec la cour, autrement que par un dévouement aussi sûr que parfaitement désintéressé, il fallait planter son drapeau en pleine chambre des députés, ayant grand soin d’attendre toujours le pouvoir, sans jamais faire un pas pour le prendre. Avec des idées plus applicables, une plus constante préoccupation des réalités pratiques, on pouvait emprunter ainsi quelque chose à ce parti puritain groupé autour de William Wilberforce au sein des communes d’Angleterre. Or, ce rôle, qui n’a valu à l’auteur de l’Apologie du dimanche chrétien qu’une tombe honorée à Westminster, pouvait, en France, convenablement modifié, aller à un noble orgueil, sans rien coûter à l’ambition.

La loi de la conversion des rentes, la plus populaire entre toutes les questions provinciales, mesure de justice et d’économie, la loi de la conversion était, ce semble, la première dont il appartînt aux doctrinaires de s’emparer. On les vit, au contraire, tomber en combattant un projet que leur intérêt politique, autant que leurs dispositions intimes, les conviaient à préparer dans les conseils de la couronne. On put croire dès ce jour qu’ils constitueraient difficilement un parti parlementaire dans ses véritables conditions d’indépendance et de force. Or, dans un pays tel que le nôtre, il n’y a, pour se maintenir, que les combinaisons assises sur une large masse d’intérêts, et, pour durer, qu’un ministère qui s’impose et se tient debout par son propre poids. Quelque valeur qu’ait un homme, lorsqu’il ne représente que lui-même, il est toujours facile à briser.

Les doctrinaires devaient essayer de se faire accepter de la classe moyenne par leur côté moral plutôt que par leur côté politique. Le succès d’une telle combinaison était d’autant moins impossible, que l’antagoniste de M. Guizot dans le cabinet du 11 octobre n’était adopté par le parti bourgeois qu’avec une manifeste hésitation.