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DU POUVOIR EN FRANCE.

l’autorité et l’obéissance, le magistrat et le citoyen. Quand le pouvoir existe, quand la société reconnaît que l’autorité qui la régit a droit sur elle, combien sont vaines, avec quelle rapidité s’évanouissent toutes les conséquences d’une fausse doctrine qui, posant en principe que le gouvernement est un serviteur dont il est fâcheux de ne pouvoir se passer, prétend réduire au minimum son action sur la société, et n’avoir des magistrats, des chefs, qu’à condition qu’ils ne soient rien ou à peu près rien ! Des chefs de la société qui ne sont rien ! Des magistrats placés çà et là comme des machines pour intervenir seulement, à jour et heure fixes, dans des cas rares et réglés ! Quelle chimère ! et aussi quelle méprise sur les choses humaines et le cours de ce monde ! Qu’on dirige toute cette théorie contre un pouvoir qu’on veut démolir, je le conçois ; l’instrument est bon et d’un effet sûr. Mais qu’on prétende le prendre pour règle lorsqu’il s’agit de fonder un ordre nouveau, de constituer un pouvoir durable, l’erreur est bien grande…

« Serait-ce que vous regardez le pouvoir comme uniquement voué à réprimer le mal, jamais à prendre l’initiative du bien ? Détrompez-vous ; il n’y consentira point, et la société elle-même ne souffrira point qu’il y consente. Quand son gouvernement lui convient, quand elle se sent vivre en lui, c’est lui qu’elle invoque pour le bien qu’elle recherche et contre le mal qu’elle craint ; elle sollicite son action au lieu de la fuir… Il est le chef de la société ; et quand la société croit ce chef légitime, c’est en lui que vient se résumer et se manifester la vie sociale, c’est à lui qu’appartient et qu’échoit naturellement l’initiative de tout ce qui est objet d’intérêt public ou occasion de mouvement général.

« Quand un tel gouvernement existe en effet, venez lui parler insolemment de son salaire ; venez lui reprocher ses gages et le sommer de s’humilier devant vous pour les obtenir. Il vous dira qu’il fait les affaires de la société, qu’elle le sait, et veut que ses affaires soient bien faites[1]. »

Ne dirait-on pas un défi jeté au scepticisme du siècle, une lutte corps à corps engagée contre la société telle que les révolutions l’ont faite ? Les paroles du publiciste de 1821 sont le meilleur commentaire des paroles du ministre de 1835, et si M. Guizot, exerçant le pouvoir, n’avait eu souvent à transiger lui-même avec les préten-

  1. Des Moyens de gouvernement et d’opposition dans l’état actuel de la France. Paris, 1821.