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mais avec d’autres instrumens plutôt qu’avec d’autres principes, ce gouvernement par l’intelligence que n’avait voulu comprendre ni le fils impérial de ses œuvres, ni la dynastie séculaire.

Sans garantir la parfaite exactitude de cet aperçu, comment se refuser à reconnaître l’unité imprimée à cette école, à travers toutes les vicissitudes, par l’idée toujours persistante de la souveraineté intellectuelle ? Les honorables personnages dont la vie politique commença sur le canapé de 1819, ont professé des opinions fort diverses, fort contradictoires, si l’on veut, sur la souveraineté royale et parlementaire, la censure, la liberté de la presse, le système électoral, etc. ; mais ils les ont toujours rattachées à un ensemble de doctrines identiques : souvent l’histoire ne saurait envisager, en effet, que comme des points de vue divers d’une même idée ce que la haine des partis flétrit du nom d’apostasie, et le cardinal de Retz a dit depuis long-temps, avec une grande vérité, qu’il faut quelquefois changer d’opinion pour rester toujours de son parti.

Les doctrinaires, fondus au sein du parti bourgeois organisé par Casimir Périer, n’avaient pu manquer d’y conquérir l’autorité qui appartient à des hommes supérieurs ; mais de là à former un parti, un ministère portant leur nom, où leurs idées et leur ascendant se produisissent sans contrepoids, la distance était immense. Ce fut une faute de tactique ou plutôt un malheur, car c’est le nom qui convient aux fautes inévitables, que la tentative si fréquemment réitérée par eux pour évincer du cabinet dont M. le duc de Broglie avait la présidence la partie qui leur était la moins homogène. Cette tentative se conçoit mieux qu’elle ne se justifie : ils cédèrent à l’honorable désir de se produire dans toute la franchise de leur pensée ; mais ils auraient dû reculer devant la crainte de révéler le secret de leur petit nombre.

En marchant sous le même drapeau que la bourgeoisie, les doctrinaires s’étaient fait de nombreux alliés, mais ils ne s’étaient pas fait d’adeptes. L’association politique existait, l’association intellectuelle n’était pas formée ; aussi, en s’emparant du levier politique qu’ils avaient eux-mêmes manié, et en se rattachant directement aux souvenirs de Casimir Périer et du 13 mars, M. Thiers et M. Molé ont-ils, chacun à son tour, rencontré bien moins de difficultés qu’on ne le supposait, pour grouper autour d’eux une majorité qui avait appartenu aux idées des doctrinaires et non à leurs personnes, majorité vaguement inquiétée par certaines tendances que l’on doit essayer de faire comprendre.